L'ART EN JEU

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accrochage thématique, reconstitution d'expositions

Décembre 2013, réflexion sur la reconstitution d'expositions.

La reconstitution des expositions devient une véritable tendance ou un courant. Sans aller jusqu’au travail 1 :1 réalisé à Venise pour When Attitudes Becomes Form Bern 1969/ Venice 2013, la présentation de Beaubourg consacrée à l’objet surréaliste évoque 5 des 8 expositions surréalistes par des projections de diapositives et par la reconstitution partielle de certaines salles ou vitrines.

C’est encore à une réflexion sur les grandes expositions et leur impact que nous invite la cité de l’architecture et du patrimoine avec 1925 quand l’art déco séduit le monde jusqu’au 17 février 2014. Centrée sur l’exposition de 1925 à Paris, elle montre des plans et des photographies des divers pavillons. Elle insiste sur le rôle des grands magasins dans la création d’une production spécifique, plus industrielle qu’artisanale comme c’était le cas avec l’art nouveau. Ce n’est pas le mouvement, le style qui sont montrés, mais vraiment l’exposition de 1925 dans un premier espace. Dans un second espace, on évoque l’impact de l’exposition de 1925 et la diffusion d’un style à travers le monde de Tokyo au Vietnam, à l’Afrique du Nord. On souligne aussi le rôle du paquebot Normandie comme promoteur de ce style.

Au Musée Guimet, l'exposition Angkor est aussi avant tout une histoire de la découverte du site et de sa mise en valeur muséographique à Paris. Angkor : Naissance d’un mythe Louis Delaporte et le Cambodge jusqu’au 27 janvier 2014. En effet, elle raconte comment Louis Delaporte fit des relevés, montre ses splendides aquarelles, et des moulages de certaines parties de sites. Il obtint peu à peu des lieux d’expositions d’abord dans l’indifférence, avant que l’on ne s’intéresse vraiment au site. Ces moulages qui avaient été entreposés dans des caisses commencent à faire l’objet de restaurations et certains sont présentés ici.

On peut encore mentionner Matisse et les Fauves, à l'Albertina à Vienne jusqu'au 12 janvier 2014. Sans être une reconstituton du salon d'automne de 1905, l'exposition s'efforce de réunir avant tout des oeuvres produites entre 1905 et 1908. Elle évoque la plupart des créateurs réunis en 1905.

 Patrick Schaefer L'art en jeu 18 décembre 2013

Tate Modern : L’accrochage thématique va-t-il bouleverser la hiérarchie des valeurs établies ?

Ouverte en mai 2000, la Tate Modern annonce avoir déjà reçu 2,5 millions de visiteurs à mi-septembre. Il faut relever que l’entrée est gratuite et qu’il n’existe pas de système de comptage systématique. Cela dit, cette ancienne usine électrique, remise en état et transformée en Musée d’art moderne et contemporain par les architectes suisses Herzog et de Meuron a visiblement conquis le public.[1] Le parti pris architectural est tout à fait audacieux et remarquable. Confronté à une gigantesque structure industrielle (conçue en 1947 par Sir Gilles Gilbert Scott), les architectes ont choisi de la respecter et de laisser un immense vide dans la partie centrale du bâtiment qui abritait la salle des turbines. Le visiteur qui entre par la partie inférieure a le sentiment de marcher sur une semi-autoroute. Toutes les galeries et les services sont concentrés sur la gauche du bâtiment. Il comprend 7 étages, trois d’entre eux étant destinés à la présentation de la collection et d’expositions temporaires.[2] Le choix des architectes suisses est particulièrement accueillant pour le public. Il évite que des queues se forment à l’extérieur, le visiteur se trouve immédiatement au centre du bâtiment et il ressent déjà une sensation très forte. De plus il est prévu que cet immense espace central reçoive des présentations temporaires de sculptures. L’exposition inaugurale est consacrée à Louise Bourgeois. Elle a fait construire trois tours en métal gigantesques, dans lesquelles les visiteurs ne peuvent pénétrer qu’individuellement, une expérience étonnante. On gravit des dizaines de marches dans une structure qui bouge très légèrement pour aller s’asseoir au sommet et se regarder dans des miroirs déformants.         

Les collections sont présentées sur deux étages, alors qu’une exposition temporaire est proposée sur un autre étage. La première exposition temporaire intitulée « Between Cinema and a Hard Place » est consacrée à l’art de l’installation: de la vidéo à la sculpture.

La collection, complétée par de nombreux prêts, est organisée en 4 sections distinctes qui évoquent les genres traditionnels de la peinture : 1. Still Life/ Object/ Real Life. (La nature morte, l’objet, la vie réelle) 2. Landscape/ Matter/ Environnment. (Le paysage, la matière et l’environnement) 3. Nude/ Action/ Body. (Le nu, l’action et le corps) 4. History/ Memory/ Society. (L’histoire, la mémoire et la société).

La décision d’adopter un accrochage thématique, prise par la Tate, aussi bien la Tate Moderne que la Tate Britain marque une rupture considérable avec la tradition qui consiste à présenter l’art moderne et contemporain comme une marche triomphale qui conduit à des innovations toujours plus étonnantes, choquantes ou remarquables. Développée en particulier par le Musée d’art moderne de New York, dès les années 1930, cette vision a été adoptée de façon dogmatique par tous les musées américains notamment. La nouvelle conception de l’accrochage mise en scène ici marque le refus d’une hiérarchie évolutionniste. Cela dit, cette approche pose de très nombreux problèmes. Elle favorise certes une vision libérée de préjugés. Et c’est un plaisir de voir le public souriant de la Tate découvrir des œuvres, passant sans idée préconçue d’une vidéo contemporaine à une salle dédiée à l’art op et au cinétisme. Alors qu’il s’agit essentiellement d’art contemporain, réputé inaccessible au grand public, je n’ai observé aucune remarque négative, aucun hochement de tête sarcastique. La lourdeur d’un accrochage qui voulait imposer un sens, affirmer des valeurs, une vision du goût est résolument abandonnée.[3] En fait, cette approche légitime une plus grande liberté dans le choix des artistes et une interchangeabilité, car la première place est donnée à des problématiques et non à des artistes. Il est clair que dans un contexte largement dominé par des artistes Américains, ce point de vue permet à la Tate d’assurer la promotion des artistes britanniques. Ceux-ci se taillent la part du lion dans un espace en principe destiné à l’art international, mais à Londres international veut sans doute dire : non exclusivement Anglais ! Le refus de la hiérarchie s’étend également aux diverses techniques. On présente sur pied d’égalité des travaux sur papier, des gravures, des photographies, aussi bien que des vidéos, des sculptures ou des peintures. Il est ainsi clairement affirmé que chaque technique, chaque mode d’expression artistique est légitime, pour autant que l’artiste ait quelque chose à dire. Ici aussi c’est une prise de distance remarquable avec la hiérarchie traditionnelle des valeurs du marché.
Bien entendu les raisons qui ont présidé au choix de tel artiste plutôt qu’un autre, ne sont pas explicitées. Il est particulièrement curieux de voir dans une présentation qui se veut internationale, deux installations vidéo d’artistes qui ont participé à l’exposition du Turner Prize,[4] Sam Taylor Wood (sélectionnée en 1998) et Steve Mc Queen (a obtenu le prix en 1999), alors que ces travaux présentés dans la section du nu et du corps en mouvement, ne sont sans doute pas les réalisations les plus remarquables autour de ce thème au cours des dernières années. Ils ont véritablement valeur d’exemple et pourraient être remplacés par d’autres productions.

Bien entendu, à la fin de ce parcours, on peut se demander ce que signifie art international et reconnaître que chaque musée, dans chaque pays, dans chaque ville, a une vision déterminée par des circonstances locales comme par des circonstances internationales. L’art international est essentiellement l’aboutissement d’un rapport de force. Le plus gros marché impose ses artistes qui deviennent forcément les plus importants et les plus chers. Cet accrochage légitime ainsi une certaine capacité de résistance. Certains parlent de chauvinisme anglais, mais en fait on peut le justifier puisque l’on sait que cette forme de résistance est la seule possibilité d’affirmation pour des groupes sociaux moins importants.

Nombreux sont les commentateurs qui critiquent cet accrochage et la faiblesse des collections de la Tate. Je me demande si l’on ne peut voir dans cette critique d’une soi-disant faiblesse justement l’expression d’une crainte de voir disparaître les artistes, essentiellement Américains, constamment ressassés dans les collections permanentes à travers le monde. Par conséquent la disparition d’une hiérarchie imposée par les musées américains.

Évidemment cet accrochage est l’aboutissement de nombreuses critiques formulées par les historiens d’art et les critiques depuis près de 20 ans.[5]

Il faut relever que si l’accrochage est l’aboutissement d’une réflexion théorique approfondie, il demeure parfaitement respectueux des œuvres. Celles-ci ne sont pas trop serrées, elles respirent et peuvent être contemplées individuellement, en faisant abstraction des autres travaux présentés. C’est un élément qui me paraît important. Les productions de chaque artiste ne sont pas brusquées par des rapprochements incongrus ou trop violents et paradoxaux. On sait que la confrontation de travaux appartenant à des périodes différentes est souvent très difficile. Elle est ici réussie sur un plan esthétique tout en exprimant une prise de position. Ainsi malgré le discours très problématique, on ressent clairement la volonté de respecter chaque réalisation. Par ailleurs des notices bien rédigées présentent aussi bien l’artiste que la problématique dans laquelle il est inséré. On observe simultanément un effort didactique, un renoncement à la présentation évolutive et hiérarchique traditionnelle et une mise en valeur de chaque travail dans sa spécificité. Ce souci de respecter les artistes est souligné par les salles monographiques, alors que dans d’autres cas un dialogue entre deux créateurs est proposé. Par exemple dans une salle étonnante consacrée à Barnett Newman et Alberto Giacometti. Ce sont les réflexions de Nicholas Serota exprimée dans une conférence publiée en 1996, Experience or Interpretation, the Dilemma of Museums of Modern Art, Thames & Hudson, 1996 et 2000, qui sont en fait mises en pratique. Il définit en effet dans ce texte « l’expérience », de façon plutôt limitative d’ailleurs, comme la possibilité de découvrir un groupe d’œuvres d’un seul artiste dans une salle. Dans le contexte des accrochages de musée, c’est une évolution importante en direction d’un respect plus marqué pour l’artiste.

L’optique choisie implique un renouvellement à intervalles réguliers. La présentation de la collection devient en fait une grande exposition temporaire. Ce qui représente un défi considérable et en réalité l’abandon de la notion de collection, liée à une institution spécifique, au sens où on l’entend traditionnellement.[6] C’est une manière de donner une place importante à la réflexion, à l’échange d’idées, au travail préalable de nombreux collaborateurs avant tout accrochage. Plutôt que de se réfugier derrière des chefs-d’œuvre incontournables faisant partie de la collection.

Patrick Schaefer, octobre 2000, L’art en jeu.

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[1] La transformation de cette usine en musée s’inscrit dans un plan urbanistique beaucoup plus large de revalorisation de la rive sud de la Tamise. Sur le plan culturel, elle a été précédée par l’ouverture du Globe Theatre, il y a quelques années. De nombreux immeubles d’habitation et de bureaux ont été construits au cours des dernières années. L’incroyable succès de la Tate donne des ailes à d’autres projets similaires dans plusieurs villes d’Angleterre, notamment à Newcastle upon Tyne, une ville sinistrée par la crise du charbon, où un gigantesque projet culturel et en cours de réalisation. http://www.balticmill.com

[2] On peut opposer ce parti pris à celui qui a été adopté au Musée d’Orsay où l’architecte et la décoratrice Gae Aulenti ont voulu remplir le vide de l’ancienne gare. La conséquence malheureuse étant que toutes les œuvres, quelle que soit leur qualité sont réduites à fonctionner comme une simple décoration.

[3] Il serait intéressant de voir si cette approche va avoir des conséquences sur le marché de l’art, car l’une des sources de la hausse vertigineuse de certains artistes, est précisément la nécessité pour chaque musée de posséder une œuvre de tel ou tel créateur considéré comme indispensable. Je n’ai rien lu sur cette question, mais si le processus s’étend et c’est très probable, cela devrait avoir des conséquences.

[4] Créé en 1984 pour soutenir le développement des collections d’art contemporain de la Tate, le Turner Prize a bénéficié d’une couverture médiatique croissante, notamment par la télévision. Il est devenu un événement très attendu. L’exposition, consacrée aux 4 artistes sélectionnés chaque année, est très visitée et a contribué à populariser l’art contemporain. Les artistes sont sélectionnés pour avoir présenté une exposition personnelle particulièrement remarquable dans les mois précédents.

[5] Cf. par exemple, Yves Michaud, Critères esthétiques et jugement de goût, éd. Jacqueline Chambon, Nîmes, 1999 a dressé un bilan de ces critiques. Dans son livre de 1989, il critiquait l’approche décontextualisée des expositions, mais aussi la monotonie des accrochages dans les musées d’art moderne, Yves Michaud, L’artiste et les commissaires, quatre essais non pas sur l’art contemporain, mais sur ceux qui s’en occupent, éditions Jacqueline Chambon, Nîmes, 1989, pp. 189-190.

[6] Là aussi c’est un problème considérable, la Tate a déjà ouvert deux succursales à St Ives et à Liverpool, de plus elle va collaborer avec des institutions agréées en Angleterre qui pourront utiliser ses collections pour leurs propres expositions. Il y a donc une forte dilution du patrimoine. Consulter le site de la Tate pour être au courant de ses activités, les collections sont également accessibles en ligne.

15 05 01 Statistiques

La Tate Modern dresse un bilan statistique après une année d'ouverture. Le nombre d'entrées après une année serait de 5.25 millions. Il s'agit d'entrées gratuites, car l'accès au bâtiment et aux collections permanentes est libre. Ce chiffre équivaut à peu près à celui des entrées dans le bâtiment du Centre Pompidou à Paris. Pour avoir une idée plus précise de la fréquentation réelle, on peut considérer d'autres chiffres. Ainsi 2.5 millions de dépliants gratuits qui donnent le plan des lieux ont été distribués. Par ailleurs l'exposition Century City a reçu 100' 000 visiteurs. Ils ne disent pas combien ont payé le billet d'entrée pour cette exposition dont le coût au plein tarif atteint le chiffre exorbitant de 22 francs suisses! ( ce chiffre de 100'000 paraît plutôt faible par rapport à la fréquentation générale du lieu et au réservoir de population de Londres, il faut relever qu'il s'agissait d'une exposition assez difficile). Ceci dit les chiffres concernant l'apport économique de la réalisation sont colossaux. http://www.tate.org.uk/home/news/1year.htm

Patrick Schaefer, L'art en jeu, 2002

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