Documenta 11, 12, 13,

Le directeur désigné pour la Documenta 14 est Adam Szymczyk, ancien directeur de la Kunsthalle de Bâle, elle se déroulera du 10 juin au 17 septembre 2017.

La Documenta 13 a eu lieu à Kassel du 9 juin au 16 septembre 2012. Le nombre de visiteurs s’est élevé à 860’000 personnes. Le nom de la directrice artistique a été annoncé le 3 décembre 2008 il s’agit de Carolyn Christov-Bakargiev, actuellement responsable du Castello di Rivoli à Turin.

Documenta 13 jusqu’au 16 septembre 2012

Après avoir visité la Documenta pendant un jour et demi, je tente d’en définir les caractéristiques principales. La première chose qui frappe, c’est l’éparpillement des sites d’expositions. J’en ai compté 32 dans la ville, auxquelles il faut ajouter au moins une trentaine de pavillons dans le Karlsauepark. En effet, il y a là quelques interventions artistiques qui fonctionnent comme des sculptures ou des réalisations de jardin, mais la plupart sont présentées dans des pavillons autonomes qui vont de la tente saharouie, à la caravane de camping ou à des bâtiments existants dans le parc. Un grand nombre de pavillons en bois ont été construits pour l’exposition. Ainsi c’est la rencontre individuelle entre le travail d’un artiste et le spectateur qui est privilégiée. Un défi extraordinaire pour une exposition qui vise un large public et il faut dire qu’il y a vraiment beaucoup de rencontres exceptionnelles, je vais tenter d’en énumérer quelques-unes.

Deux travaux sont particulièrement caractéristiques de cette option. A la gare on se fait remettre des écouteurs et un support vidéo pour suivre un parcours de 26′ proposé par Janet Cardiff & George Bures Miller. C’est un moment très émouvant, car on entend le récit de cette gare, notamment les départs pour la déportation. Un autre exemple est la nouvelle production de Tino Seghal. Dans une nuit complète, des acteurs chantent, parlent, se déplacent. Il faut un très long moment d’acclimatation pour percevoir leur présence et sentir comme ils interagissent avec chaque spectateur.


Maintenant quels thèmes peut-on voir ressortir ? Le premier est assurément la guerre, il est omniprésent, soit sous forme de récit, soit par ses effets sur l’art, destructions, spoliations, soit comme source de création, de résistance. Wael Shawky propose deux films sur des spectacles de marionnettes qui évoquent les Croisades avec de fortes similitudes avec les événements en cours au Proche-Orient. Charlotte Salomon a produit un ensemble impressionnant de gouaches au cours de la dernière guerre qui sont présentées ici. Francis Alÿs avec de toutes petites peintures évoque l’Afghanistan. Sopheap Pich réalise d’impressionnantes peintures-reliefs em bambou qui évoquent la captivité au Cambodge et l’identité d’un pays. Nedko Solakov investit une partie des salles du musée des frères Grimm pour raconter de délirantes histoires de chevaliers liées à certaines actualités. Clemens von Wedemeyer présente l’évolution des usages d’un couvent proche de Kassel qui servit notamment de camp de concentration, il fait jouer cette histoire dans un film.

La paix est évoquée par un juke box dans lequel Susan Hiller a rassemblé 100 chansons pacifistes, on les trouve dans les restaurants de la Documenta. La nature, la pollution est un second thème récurrent surtout à l’Ottoneum et dans le Karlsauepark. The Otolith Group a réalisé un film documentaire sur la contamination à Fukushima, alors que Willie Doherty parle d’une autre histoire de contamination réelle ou imaginaire, en filmant des zones humides dans un film magnifique (assez proche de celui qu’il a réalisé sur Murcia pour Manifesta).

Toutefois ce qui m’a le plus frappé dans cette Documenta, c’est la célébration du livre, non pas du tout pour son contenu, mais comme forme, comme objet. De nombreux artistes travaillent sur ce support, accessoirement le magazine ou encore la lettre et les archives, la bibliothèque. On les retrouve partout et je n’en mentionne que quelques-uns. Amar Kanwar projette des vidéos sur les pages de grands albums réalisés avec des feuilles de papier en fibres naturelles, alors que Mark Dion a dessiné une bibliothèque pour une extraordinaire collection de livres abritant des plantes séchées à l’Ottoneum. Paul Chan dessine des paysages sur les couvertures de livres dont les pages ont été arrachées. Il a couvert les murs d’un local à la Friedrichstrasse avec ce travail. Kader Attia évoque l’histoire coloniale et les guerres en plaçant livres et revues dans des rayons ainsi que des objets et des sculptures. Geoffrey Farmer réalise de gigantesques collages avec des coupures de photos de magazines, il occupe ainsi une longue galerie de la neue Galerie. Matias Faldbakkenn intervient dans la bibliothèque municipale en renversant tous les livres des rayons. Il faut encore rappeler le très étrange périple réalisé à l’instigation de Michael Rakowitz autour d’une bibliothèque incendiée par un bombardement à Kassel: des images de leurs couvertures connues par des inventaires, ont été proposées à des sculpteurs sur pierre de la région de Bamyan, où les bouddhas ont été détruits par les talibans. Ces sculpteurs ont réalisé des copies en pierre de ces livres; pour ne citer que quelques exemples.

Au niveau des concepts, il me semble que cette Documenta s’inscrit dans la continuité de Manifesta 8 présentée à Murcie et à Cartagène en 2010. Elle tente d’évoquer l’histoire, l’identité de la région et intervient dans une vaste typologie de lieux. On regrettera tout de même l’absence d’une grande exposition qui propose un regard sur l’art contemporain et une mise en perspective, il n’y a que des juxtapositions de démarches créatrices et ce ne sont pas quatre toiles de Morandi accrochées comme dans une brocante, en compagnie de quelques jolis objets, qui vont en tenir lieu. Culturellement, il ne fait aucun doute que la directrice Carolyn Christov-Bakargiev appartient à l’Italie et cette dispersion dans un très grand nombre de sites fait penser aux pavillons des Giardini à Venise, on peut dire que c’est une Documenta très italienne. Patrick Schaefer 15 juin 2012, l’art en jeu.


Kassel La Documenta fait le bilan de l’édition 2007: elle a reçu 754’301 visiteurs payants 100’000 de plus qu’en 2003 et près de 20’000 journalistes et professionnels de l’art.

Documenta 12 (XII) jusqu’au 23 septembre 2007

Tous les cinq ans, Kassel reçoit l’une des plus prestigieuses expositions d’art contemporain. Cette année le budget s’élève à 23 millions d’euros, plus de 2’ooo journalistes ont assisté à la conférence de presse, environ 70 guides sont prêts à conduire les visiteurs dans les différents sites.

La Documenta qui a retenu 113 artistes s’étend principalement sur six lieux différents : le Schloss Wilhelmshöhe, la neue Galerie, le Museum Fridericianum, la Documenta Halle, le Aue Pavillon et le Kulturzentrum Schlachthof où interviennent 2 artistes Hito Steyerl et Arthur Zmijewski.

Le directeur de la Documenta Roger M. Bürgel et sa compagne Ruth Noack qui est la curatrice de la manifestation ont développé l’exposition autour de la question « la modernité est-elle notre antiquité? ».

Avec un regard centré sur la première Documenta de 1955 et les significations idéologiques qu’on lui donnait. Ceci implique que l’on trouve dans les expositions de nombreuses confrontations chronologiques, entre notamment des travaux des années 1960 et ceux d’aujourd’hui. Dans le catalogue par contre les oeuvres apparaissent dans l’ordre de leurs dates de création. Un autre axe de réflexion est l’exposition comme médium spécifique, différent des médias écrits, radiophoniques ou télévisuels. On observe une exploration de la typologie des expositions, de leur caractère, de leur atmosphère déterminée par l’identité du bâtiment où elles se déroulent. Il y a un refus de considérer l’oeuvre d’art ou l’exposition comme une structure fermée, univoque et un appel aux réactions du spectateur. Enfin il y a un souci d’esthétique et de recherches de parentés ou d’oppositions formelles avec une valorisation de la réalisation personnelle. On constate que ces préambules aboutissent à une exposition qui met l’accent sur la peinture, le dessin, la photographie documentaire sans grandes retouches, certains médias mixtes, des installations, qui rejette par contre les nouvelles technologies, les ordinateurs et les développements spectaculaires de la vidéo. Lorsque cette dernière apparaît, c’est avant tout dans un rôle documentaire ou comme un moyen de création simple qui n’implique pas de ressources spectaculaires dans sa réalisation.

Une approche sobre par conséquent qui montre une réalité de la création artistique aujourd’hui et des liens possibles avec le passé récent. On relèvera que chaque site propose une exposition spécifique très dense qui peut se visiter pour elle-même d’autant plus que plusieurs artistes sont présentés dans des lieux différents. Je conseillerai pourtant au visiteur de commener par la neue Galerie qui offre déjà une exposition riche en découvertes et en émotion. L’atmosphère est très sombre, l’éclairage est faible pour protéger les œuvres, mais aussi afin de créer un effet : la plupart des travaux exposés sont sur papier ou des photographies. Les murs sont peints en vert, en bleu ou en rouge virant au rose. Les spots donnent une tonalité assez dramatique dans leur éclairage. On est loin du White Cube comme le relevait Mary Kelly lors de la conférence de presse. Cette artiste justement occupe une place dans l’histoire de l’art moderne et contemporain pour avoir revendiqué la présence de l’autobiographie dans la production artistique avec ses Post Partum Documents, 1973, mais ses œuvres paraissent assez rarement dans les expositions. Elle est ici largement représentée.

Les propositions retenues relèvent d’une approche intime qui implique une mise en relation entre le privé et le public par certains événements comme le deuil, la naissance, la protestation. On trouve le deuil dans l’installation de Churchill Madikida qui évoque les victimes du sida ou dans le grand ruban de Mary Kelly qui rappelle les morts du Kosovo dans The Ballad of Kastriot Rexhepy. Un autre moment de la vie est présenté dans la grande installation de cette artiste Love Songs et elle présente aussi la naissance avec Primapara, Bathing Series, 1974 des photos noir blanc de son bébé au Aue Pavillion.

De grandes séries de dessins interrogent le statut de ce médium et ses multiples fonctions. On trouve les dessins d’enfant de Peter Friedl, les aquarelles magnifiques de Sheela Gowda partant d’un autoportrait photographique, les dessins de Nedko Solakov Fears, ceux de Kerry James Marshall dont les peintures forment l’un des Leitmotiv de l’exposition que l’on retrouve à plusieurs endroits en particulier au château de Wilhemshöhe dans la salle consacrée à Franz Hals. Il y a aussi la vie des esquimaux racontée par Annie Pootoogook. Les photographies de Louise Lawler, en particulier Pollock & Tureen, 1984 sont emblématiques du propos de cette Documenta. Elle montre comment en effet des oeuvres d’art peuvent être confrontées à des contextes totalement imprévus. Une grande installation avec un film de James Coleman Retake with evidence inspiré par le roi Lear évoque un autre âge de la vie. L’installation de Amar Kanwar présente les cris de colère de femmes violées par les soldats indiens d’une intensité dramatique très impressionnante. Deuil, imprécation, lamentations, cris sont des éléments récurrents dans les œuvres proposées à la neue Galerie. Bien que les organisateurs se défendent d’avoir cherché toute distribution thématique.


Le Fridericianum est plutôt consacré au jeu et à l’expérimentation et surtout à la danse avec la superbe performance chorégraphiée par Trisha Brown qui sera répétée dix fois par jour pendant cent jours. Luis Jacob expose un album de travail réunissant différents types de travaux, d’images, créant une archive personnelle sur les mouvements du corps, traduits dans l’art ou le quotidien. Un film propose la reconstitution d’une danse chorégraphiée dans la neige. Une salle associe des pièces au mur de Mc Cracken en bleu et rouge, Electric Dress, 1956 de Tanaka Atsouko qui paraît très actuelle et les cordes suspendues de Sheela Gowda. Une grande installation de la brésilienne Alejandra Riera raconte une expérience de théâtre. On découvre plus loin des interrogations sur la nature de la performance, les traces qu’elle laisse notamment sous la forme d’une documentation photographique. Une grande installation d’Imogen Stidworthy I Hate évoque une expérience avec le photographe Edward Woodman rendu muet par un accident en 2001. Signalons encore les analyses sur écran du jeu de football par Harun Farocky avec Deep Play. La spectaculaire installation transparente qui déborde sur la façade de Iole de Freitas qui est aussi danseuse avant d’être plasticienne. Les sculptures en laque de John Mc Cracken se retrouvent dans tous les sites de l’exposition confrontées à des situations très différentes, on retrouve aussi par exemple les travaux de Gerhard Rockenschaub, les cibles de l’artiste danois Poul Gernes (1925 – 1996). Ou les chaises de Ai Weiwei qui évoquent les 1000 chinois de toutes origines invités à venir voir l’exposition.

Dans la Documenta Halle on trouve avant tout deux grandes installations l’une de Inigo Manglano Ovalle qui reconstitue un camion tel que ceux qui étaient supposés transporter des armes chimiques en Iraq Phantom Truck et l’autre de Cosima von Bonin, dont on retrouve les installations à de nombreux endroits. A signaler aussi les tranches de pain gravées et taillées en bois d’Anatoli Osmolovski. Dans le Fridericianum cet artiste expose des moulages en bronze de tanks. Allusion à l’une des principales activité économiques de cette ville qui abrite une usine de tanks.

Le Aue Pavillon est une structure provisoire qui remplit tout l’espace devant l’Orangerie. – On y trouve des confrontations, des rencontres d’œuvres comme cela se produit dans ce type de lieu qui évoque un site de foire commerciale, très éphémère. La volonté est clairement de décontenancer le visiteur et l’on sourit en voyant une pièce verte de John Mac Cracken devant les cultures d’Ines Doujak intitulées Siegesgärten, l’artiste dénonce le bio-colonialisme, l’utilisation des ressources de certains pays sans contre-partie en présentant un bac à fleurs surélevé de 16 mètres de long. Les 13 guitares de Saâdane Afif jouent tout seul dirigée par un ordinateur et s’entendent de loin. Les peintures de Monika Baer évoquent Odilon Redon. Les immenses rouleaux peints de Lu Hao documentent le développement d’une ville chinoise. La grande pirogue de Romuald Hazoumé intitulée Rêve rappelle les noyés d’Afrique qui tentent de quitter leur pays.


Le château de Wilhelmshöhe abrite la Gemäldegalerie surtout connue pour un groupe d’œuvres flamandes (Rubens) et hollandaises (Rembrandt, Franz Hals). C’est ici que l’on trouve une intervention dans le paysage de Sakarin Krue-On avec la transformation du talus très pentu devant le château en rizières disposées en terrasses, la culture semble prospérer. (Une autre expérience agronomique rencontre des problèmes la plantation de pavots devant le Fridericianum voulue par Sanja Ivekovic ne se développe pas comme prévu!) Deux installations vidéo sont placées à l’entrée et à la sortie d’une salle obscurcie pour la présentation de travaux sur papier. Dans ce musée les œuvres sont dispersées sur trois étages, mais il y a surtout un groupe important au deuxième étage. Des dessins appartenant aux cultures indiennes, chinoises et arabes sont confrontées à des croquis d’artistes contemporains: Mc Cracken et Mira Schendel en particulier. La vidéo Funk Staden de Dias & Riedweg très intéressante repose sur une idée un peu comparable. Elle associe le récit de voyage illustré au Brésil de Hans Staden paru en 1557 et racontant des pratiques festives et rituelles, notamment du cannibalisme à une transposition actuelle de ces pratiques.


On peut encore signaler le Kulturzentrum Schlachthof qui est un centre d’accueil. Deux petites salles sont réservées à la présentation de deux films documentaires. Celui de Hito Steyerl raconte l’histoire de la destruction de certains films d’archives bosniaques en 1993, l’autre du polonais Arthur Zmijewskki présente des jeunes peignant des pancartes contre le nazisme. La vidéo, le film sont considérés comme médiums de travaux à caractère documentaire et non comme moyen de développer des nouveaux types de spectacles.

Pour conclure on peut dire que c’est une Documenta intéressante, riche qui permet de nombreuses découvertes qui met l’accent sur la spécificité expressive et communicative de chaque médium, souvent incompatible avec la parole ou le texte. Elle est à l’image d’un temps déconcerté, sans idéologie avec pourtant d’innombrables plaintes, douleurs, souffrances, protestations, revendications qui s’expriment par l’imprécation, l’incantation, le deuil mais qui n’ont plus de véhicules conceptuels critiques. Elle est aussi une invitation au respect des cultures et des identités dans leur diversité montrée côte à côte. Elle exclut tout discours univoque, en invoquant les affinités esthétiques pour montrer les différentes relations possibles entre les oeuvres.

 


Documenta 11 Kassel jusqu’au 15 septembre 2002

La Documenta de Kassel est présentée dans 5 espaces différents: le Fridericianum qui est le centre traditionnel de la manifestation, une installation est présentée dans l’Orangerie et d’autres dans le parc voisin. La Documenta Halle abrite une partie des travaux, le troisième lieu est formé par le Kulturbahnhof voisin du quai 1 de l’ancienne gare. Il comprend également un cinéma dans lequel seront projetés certains des films les plus longs proposés sur de petits écrans dans l’exposition. Un nouvel espace a été développé dans une ancienne brasserie, la Binding Brauerei, assez éloignée du centre ville. Les 6000m2 d’exposition obtenus ici sont devenus le nouveau point central de la manifestation. Bien sûr il est tentant de demeurer au niveau du discours général face à une manifestation de cette ampleur. Il faut remarquer toutefois que, précédée par 4 colloques organisés sur 4 continents différents qui ont tenté de cerner les enjeux de l’activité artistiqe aujourd’hui, l’exposition Documenta 11 qui forme selon son concepteur Okwui Enwezor, la cinquième étape n’est pas une exposition bavarde. Bien au contraire, on peut certes discuter des choix, mais l’on doit reconnaître que les travaux sont mis en valeur, respectés, le plus souvent dans des espaces spécifiques pour chaque artiste. On n’a pas cherché à faire des compositions spectaculaires, des confrontations inattendues ou provocantes. Les artistes ne sont pas instrumentalisés au profit d’un discours général imposé.

Le catalogue contient des exposés théoriques de diverses personnes impliquées dans la manifestation, mais il n’y a aucun texte sur les œuvres, on trouve uniquement les déclarations des artistes qui accompagnent leurs travaux (malheureusement il n’y a qu’une quarantaine de textes alors que 118 artistes ou collectifs participent à l’exposition). Un petit guide publié séparément propose toutefois des notices sur le travail de chaque artiste; il est quasiment indispensable, car on ne trouve aucun renseignement à l’exception du nom de l’artiste et du titre de l’oeuvre dans les salles. Le spectateur est donc laissé libre de découvrir sans préjugés les pièces qui lui sont proposées. Une grande partie des travaux a été commandée pour la manifestation et il s’agit souvent de films présentés sur un ou plusieurs écrans de dimensions variables. Si l’on veut véritablement découvrir ces pièces, il va de soi que le rapport au temps que l’on connaît dans une exposition habituelle est totalement renversé. Il faut prévoir de longues heures pour découvrir tous ces films. Ceci dit seuls quelques uns sont très longs, la durée des autres varie entre 5 et 30 minutes, ce qui est tout à fait acceptable.

Cette Documenta n’est pas une exposition rébarbative ou prétentieuse, car le langage utilisé par les artistes est souvent assez simple et séduisant. Bien sûr on peut s’étonner de certaines absences, mais les créateurs retenus font partie de ceux qui sont exposés et appréciés depuis plusieurs années dans les principaux centres d’art contemporain et les diverses biennales à travers le monde. L’ambition clairement affichée par le directeur de la Documenta Okwui Enwezor et les différents commissaires de l’exposition est politique, non pas au sens où les artistes seraient susceptibles de changer le monde, mais dans le sens où les langages auxquels ils recourent et ce qu’ils en font veulent et peuvent dire quelque chose sur le monde qu’ils sont seuls à dire de cette façon. Leur expression est un lieu de résistance au discursif qui laisse place à l’intuition. Sarat Maharaj l’un des commissaires parle des pratiques des arts visuels comme source de savoir et de sentiments comme « moteurs épistémologiques ». (Plusieurs journaux allemands ont d’ailleurs rappelé que la dimension politique de la Documenta est un fait permanent depuis sa création en 1955). Réalité, mémoire et utopie. On peut assez clairement distinguer quelques grandes lignes directrices autour desquelles les artistes ont été sélectionnés.

L’une est politique, liée à l’actualité au sens strict. Un album de photos d’agences de presse sert d’ailleurs de frontispice au catalogue. On trouve ainsi des travaux en relation avec les différents conflits qui agitent le monde depuis plusieurs années qu’il s’agisse du Liban (Mona Hatoum), de l’ex-Yougoslavie, de l’Inde et du Pakistan (Ravi Agarwal, Amar Kanwar), d’Israël et de la Palestine (Fareed Armaly et Rashid Masharawi), sans oublier le 11 septembre pour ne citer que quelques exemples.

La deuxième ligne est tournée vers l’évocation du passé, l’organisation d’archives, de collections parfois obssessionnelles et de tentatives de structurer le temps et le sens du monde (une problématique qui avait été abordée de manière très complète dans l’exposition Voilà présentée au Musée d’art moderne de la ville de Paris au cours de l’été 2000). Les principales installations tournent autour de cette problématique : Hanne Darboven (décédée en mars 2009) dont 4000 feuilles couvertes de chiffres occupent magnifiquement sur 3 étages la rotonde du Fridericianum, On Kawara, ou les archives de Dieter Roth, mais aussi le travail sur le dictionnaire des frères Grimm de Ecke Bonk. Georges Adéagbo relève de la même démarche, de même que Louise Bourgeois qui affirme comme source de ses dessins et sculptures l’angoisse et le désir de revisiter le passé.

Enfin le troisième fil conducteur que je distingue est celui des projets utopiques, des maquettes, des constructions imaginaires. Ici c’est un hommage important à Constant (1920) qui est rendu dans l’une des salles du Kulturbahnhof avec la présentation des maquettes pour New Babylon, un projet développé de 1956 à 1974, ou encore les travaux de Yona Friedman (1923). On perçoit ces artistes comme les précurseurs d’innombrables recherches de ce type poursuivies aujourd’hui, soit sous la forme de maquettes réelles ou de constructions, soit sous la forme virtuelle. Le travail d’Asymptote montré ici renvoie à cette filiation. Les deux domaines, collection et utopie peuvent se rejoindre dans les archives du désir du groupe Park Fiction. Mais aussi dans la réalisation d’espaces réels. Deux exemples à relever le groupe Simparch avec Free Basin offert aux praticiens de planches à roulettes et Spec, mais aussi le Bataille Monument de Thomas Hirschhorn réalisé dans une banlieue de Kassel habitée par des personnes venues de Turquie et de Russie. Cette réalisation comprend 6 éléments : des taxis qui conduisent les visiteurs de la brasserie au site, un Imbiss qui propose de la nourriture et des boissons, un pavillon bibliothèque, un autre qui propose une exposition Bataille, une statue de Bataille et enfin un studio de production radio.

Films, installations vidéo Les films présentés sous la forme d’installations assez simples avec projections sur un, deux, trois ou quatre écrans occupent une place importante au Fridericianum et à la brasserie Binding. Dans le premier bâtiment on découvre les travaux nouveaux de Stan Douglas, Suspiria, 2002, Chantal Akerman, From the other Side, 2002, installation avec 18 moniteurs et deux écrans consacrée à la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis; Shirin Neshat, Untitled, 2002 consacré aux Indiens du Mexique et tourné dans la région de Oaxaca.

A la brasserie Binding je mentionnerai parmi beaucoup d’autres que je n’ai pas vus, les deux nouveaux films de Steve McQueen (1969) Western Deep, 2002 et Carib’s -Leap, 2002 deux plongées très différentes, l’une infernale dans une mine d’or en Afrique du Sud et l’autre idyllique, impressionniste dans des eaux tropicales, mais qui évoque le suicide collectif des Indiens de la Grenade en 1651. Des travaux qui marquent une nouvelle étape pour cet artiste très intéressant. Et, The House, 2002 d’Eija-Liisa Ahtila, véritable court-métrage dense qui fonctionne comme une nouvelle littéraire associant le récit, la réalité et le fantastique. Le texte repose sur les témoignages de femmes qui entendaient des voix et ont surmonté une psychose.


Au premier abord la peinture semble la grande absente de la manifestation, (elle l’est si l’on considère les mètres carrés occupés par comparaison avec la photographie, notamment), pourtant en y réfléchissant on se rend compte qu’elle est évoquée de manière typologique très large avec des approches représentatives de différentes attitudes face à ce moyen d’expression, sans pourtant qu’il y ait une volonté de rendre hommage à des personnalités très connues. On relève plutôt une volonté de découverte. Léon Golub (1922) le plus âgé des peintres présentés est encore relativement peu connu en raison du caractère très engagé de son approche. Cecilia Edelfalk, Glenn Ligon, Fabian Marcaccio, Ouattara Watts, Andreas Siekmann, Luc Tuymans sont représentatifs d’attitudes, de manières très différentes dans l’utilisation du medium pictural, ils proposent tous des travaux intéressants, mais bien sûr des dizaines d’autres noms viennent à l’esprit lorsque l’on considère l’approche de l’un ou de l’autre. Enfin nombreux sont les artistes qui tout en utilisant la caméra ou l’appareil photo posent des problèmes propres au dessin ou à la peinture, c’est par exemple le cas de l’installation de Craigie Horsfield, qui sur 4 écrans envoûte le spectateur dans un univers proche du lavis, des aquarelles chinoises, du moins pour la section qui passait au moment où je me trouvais dans cette installation dont la projection s’inscrit dans la longue durée.

Avec son dernier film, Confessions de Zeno, 2002, William Kentridge joue avec les ombres, les silhouettes découpées et d’innombrables références iconographiques dans une réalisation brillante. Développant une approche prospective tout en recherchant des liens avec les générations antérieures. Cette Documenta propose une intéressante vision des comportements et des enjeux que l’on observe sur la scène artistique actuelle. Sa principale qualité est de revendiquer la légitimité et la spécificité de la prise de position artistique sur le monde. Plusieurs travaux utilisent le net de diverse manière à signaler la plus longue marche sur le web de Tsunamii.net un projet qui traite avec ironie le rapport au temps dans la visite des sites net.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 10 juin 2002.