L'ART EN JEU

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Stéphane Fretz expose à la galerie ESF à Lausanne. Petit atlas de centaurologie. Gravures jusqu'au 29 avril 2006

Par ailleurs art & fiction ouvre un nouvel atelier à l'avenue de France 16 à Lausanne

Paysage avec Don Quichotte, Philippe Fretz, Stéphane Fretz, Stéphane Zaech, peintures, dessins, gravures du 17 avril au 29 mai 2005 Manoir de la ville de Martigny.

Depuis plusieurs années (1993-1997), le peintre lausannois Stéphane Fretz (1966) se passionne pour Manet et l'espagnolisme. A l'occasion de l'exposition présentée au Musée d'Orsay sur ce thème, j'ai voulu lui poser quelques questions sur son rapport à la peinture et à Manet.

Questions à Stéphane Fretz (octobre 2002):

Tout est toujours à refaire, tu revisites des thèmes iconographiques traditionnels. Lesquels, en fonction de quels intérêts ?

Pour moi, une peinture (je préfère parler d'une peinture plutôt que de la peinture, terme trop abstrait) c'est avant tout une scène. Je ne revisite donc pas des thèmes mais plutôt des lieux. Des lieux qui n'existent qu'en peinture, qui sont totalement inaccessibles par un autre moyen et qui ont été inventés par elle. Ces lieux sont entre autres choses des miroirs d'états psychiques ou spirituels, je m'y rends donc selon mes besoins du moment.

Comment s’articule pour toi la relation entre les diverses techniques d’expression que tu emploies et le recours à l’écriture ?

Le centre, c'est la peinture. Ça reste la peinture même si je ne peins pas. Mais j'ai besoin de rendre compte de mes déplacements en peinture, de dresser une carte de ce que je découvre et d'en faire un récit. La gravure et l'écriture sont très liées dans ce cas et ont comme horizon le livre. J'ai toujours en tête un livre à faire, dont je publie des fragments soit gravés, soit écrits qui rende compte de ce qui se passe en peinture.

Tu as développé ton travail en fonction de références explicites, Picasso, Balthus, Manet et l’espagnolisme. Peux-tu nous dire quelque chose à propos de la relation entre ces références et une inspiration tirée du quotidien? Comment le travail sur les références devient-il une expérience personnelle?

Tu t'en doutes, ta question est très personnelle. Si je suis à un moment donné touché par le travail de Manet, par exemple, sur la question de l'héritage des maîtres espagnols, liée à la question qui en découle directement, à savoir l'héritage familial, c'est que ça fait écho à ma propre position dans l'histoire de la peinture et à celle de ma situation familiale, avec tout ce que ça peut impliquer sur un plan très intime.

Les peintres qui m'intéressent sont ceux qui n'éludent pas ces questions dans leur travail, ils ne sont finalement pas si nombreux et c'est ainsi que j'en arrive à eux. Mais ce n'est pas pour autant que je vais faire état de choses trop intimes ni en peinture, ni dans mes textes ou dans cet entretien. Il y a une énigme à respecter. Tout est là, mais la peinture a ceci de spécifique, c'est qu'elle est un outil qui met en oeuvre des états de l'âme, elle ne se contente pas d'en rendre compte.

En travaillant sur Manet et l’espagnolisme tu as redécouvert l’œuvre de Manet, notamment Le Déjeuner sur L’herbe. Comment s’opère pour toi cette redécouverte? Autour de cette oeuvre tu développes d’une part un travail pictural, d’autre part des dialogues imaginaires?

La question centrale était pour moi: pourquoi le procédé le plus artificiel possible : un portrait d'une femme déguisée en matador, avec un costume fait de bric et de broc, peint par un français qui n'a jamais mis les pieds en Espagne et qui se met en tête de peindre comme les espagnols, c'est-à-dire, selon la doxa, de façon inauthentique, peut aboutir au magnifique portrait, vibrant, vivant, vivace, qu'est Mademoiselle V. en costume d'espada ? Et pouquoi Manet a-t-il dû passer par là pour la peindre nue finalement dans Le Déjeuner sur L'herbe ?

J'ai donc fait la même chose. J'ai affublé des proches d'habits bizarres et j'ai fait leur portrait. Ce qui est en jeu ici, c'est avant tout la question de l'authenticité, de l'authentique; ce que Sollers appelle "La hotte antique". Et sous la hotte, une chose qui a bien du mal à se définir, qui doit abandonner l'idée imposée par les autres qu'elle doit se définir: moi.

Au XIXe siècle la peinture est devenue un outil d'introspection inouï, tellement fort que la chose a été éludée en faisant de Cézanne un dieu et de Van Gogh un saint pour finalement s'en occuper le moins possible. Duchamp est clairement dans cette posture où il préfère arrêter de peindre plutôt que de découvrir quelque chose qui lui ferait mal.

Ce dont il s'agit ici est la solitude. Ces peintres ont inventé la solitude. Il y a des précédents: Rembrandt, Goya, mais chez eux la solitude est un cadeau de l'âge, de la maladie. Pour Manet, la solitude est posée d'entrée. Ils veulent un nu, je leur ferai un nu, tel est son programme pour entrer au Salon. L'aventure qui l'amène à ce nu qui doit être fait par je et non pas correspondre à ce qu'ils veulent tout en étant admis par eux, c'est l'aventure du Déjeuner sur l'herbe et je la raconte à ma manière dans divers textes.

Vous trouverez des reproductions des travaux de Stéphane Fretz sur ce site: http://www.esf.ch/fretz/index.html

L'art en jeu, le 16 octobre 2002, propos recueillis par Patrick Schaefer

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