L'ART EN JEU

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Entretien par courriel avec Olivier Christinat, photographe.

Olivier Christinat (1963) expose depuis plusieurs années dans de nombreuses institutions en Suisse et à l’étranger. Il est un photographe qui privilégie le travail d’atelier. Il est parti de thèmes fondamentaux pour la photographie, le portrait et le nu. Ceux-ci l’ont conduit à des compositions plus complexes inspirées par les textes bibliques dans la série Apocryphes, (dès 1995) en partie consacrée à l’exploration de l’autoportrait. Puis il s’est tourné vers la photo d’actualité dans la série Evénements (dès 1999). J’ai voulu lui poser quelques questions pour mieux comprendre son travail.

1. Le corps humain et sa nudité nourrit votre inspiration. Voulez-vous parler de cette relation entre le regard et le travail photographique ?

La photographie offre au regard une pause, un arrêt dans le temps pour mieux saisir ce que parfois, dans le réel, notre regard ose à peine convoiter. Dans la photographie de nu en particulier, le corps devenu objet par son passage à l'image nous affranchit d'une certaine pudeur. Nous n'avons pas à nous soucier du trouble que notre regard pourrait provoquer chez le modèle, celui-ci n'est plus là. Il nous est donc offert de le contempler avec autant de liberté que lorsque nous faisons appel à nos souvenirs pour nous remémorer un corps absent.

Je me demande si l'on peut réellement parler d'inspiration lorsqu'il s'agit de la représentation du corps. En particulier dans mes photographies qui ne sont ni des mises en scènes fantasmatiques ni de subtiles abstractions qui évitent finalement le sujet, il s'agit ici de simples poses, or les poses sont toujours les mêmes, les toutes premières photographies érotiques en ont d'ailleurs très rapidement épuisé le catalogue. En revanche, ce qui est à chaque fois nouveau c'est le corps lui même, chaque modèle réinvente le nu, le photographe n'est ici qu'un témoin.

J'aime montrer le corps en évitant la surenchère esthétique car, à mes yeux, cela n'est qu'épaississement du mystère. Pour cette même raison, je ne fixe pas de limite entre ce qui peut être montré et ce qui devrait être caché, ces limites appartiennent uniquement au modèle.

Je suis toujours éberlué lorsque j'entends que la présence d'un sexe retire à l'image son statut d'œuvre d'art, il me semble qu'aujourd'hui nous pourrions être dégagés de certains tabous, mais je vois bien au contraire que nous sommes en plein renouveau puritain.

2. Qu’est-ce qui fait le regard d’un photographe ? La tension entre faire ressortir les traits et effacer ce qui est trop individuel vous intéresse particulièrement, n’est-ce pas?

Le style en photographie est une belle illusion, pour ne pas dire une supercherie. C'est un malentendu culturel ; les photographes ayant toujours eu le besoin d'être considérés comme des artistes au même titre que les peintres ou les écrivains. ils en oublient parfois (moi le premier d'ailleurs) la fabuleuse liberté que leur offre leur médium. Il n'y a pas de geste physique identifiable dans la réalisation d'une photographie, c'est pourquoi il est impossible d'authentifier une photographie par son style.

Je pense cependant qu'il est juste d'attribuer un style à un ensemble d'images pour en renforcer la cohésion.

Pour ma part, il est vrai que j'aime beaucoup procéder par élimination, tant au niveau du décor qu'à celui de l'expression ; mes images sont nues, seul le modèle les habille. Et le modèle devra lui aussi se dépouiller de toute tension sur son visage pour qu'il n'en reste que le dessin anonyme.

Mon rapport à la représentation du visage est, comme pour la plupart des photographes contemporains, en filiation directe avec la manière adoptée par les peintres de la Renaissance qui ont systématisé une approche frontale et statique dont se dégage une sorte d'absolu du visage.

3. Vous privilégiez la concentration du travail d’atelier. Un décor minimal. Est-ce que vous rejetez le travail en extérieur?

J'ai travaillé ces dix dernières années exclusivement en atelier afin de ne pas avoir à déplacer des meubles ou des immeubles en cas de photographie en extérieur. Il n'est cependant pas exclu que je me retrouve finalement à travailler en décor naturel, mais cela pourrait sous entendre que le décor serait alors le sujet principal.

Mais mon choix du travail en atelier procède surtout de la dispense du cadrage ; un sol, un mur ; inutile de se demander s'il faut cadrer plus à gauche ou plus à droite, la seule chose qui compte est de trouver la juste distance par rapport au modèle.

4. Voulez-vous nous dire quelques mots sur vos références préférées en photographie ou dans d’autres domaines de l’activité artistique comme la peinture, le dessin ?

Mon premier domaine artistique de référence est plutôt celui de la musique qui offre, pour un plasticien, le double avantage de ne solliciter ni le regard, ni la parole ; seulement l'intellect et l'émotionnel. Paradoxalement je fabrique des images peu émotionnelles et d'une grande simplicité de lecture mais qui sont néanmoins le produit d'une longue réflexion (ce que l'on peut en fait attribuer à ma seule lenteur et mon inclination pour la paresse).

Mais mes modèles artistiques sont presque tous des compositeurs et celui pour lequel j'ai une très grande admiration parce qu'il a su dépouiller la musique de son devoir de séduction est Arnold Schoenberg. Je pense que Schoenberg est le seul artiste du vingtième siècle (toutes disciplines confondues) à avoir su engendrer une véritable révolution sans possibilité de retour en arrière. Ce qui se traduit par une extraordinaire résistance au temps de la plupart de ses œuvres ou de celles de ses élèves Berg et Webern (ce dernier peut-être plus encore). Car au delà du seul souci de modernité se trouvait là l'opportunité d'un langage musical capable d'englober la pensée du nouveau siècle.

Et c'est impressionnant de voir à quel point cette musique que l'on a pour un temps assimilée à l'expressionnisme se trouvait déjà bien au delà de cette appellation tandis que les œuvres plastiques de cette même époque ne sauraient y échapper.

Du côté des arts plastiques, les influences ont été peut-être plus évidentes, mais aussi plus éphémères. A 20 ans, j'imitais abondamment le photographe américain Arthur Tress qui pratiquait alors une photographie onirique et inquiétante, plus tard je me trouvais fasciné par l'absolue liberté d'un Mario Giacomelli que je n'ai pas su imiter, mais qui m'a considérablement stimulé et, dans le même temps, je me servais des hiératiques autoportraits d'Arno Minkkinen pour élaborer ma propre recherche sur ce thème.

Je tiens encore à citer le travail envoûtant de Bill Viola ; je n'en connais que quelques œuvres dont celles qui furent présentées au Musée des Beaux-Arts de Lausanne en 1993 mais leur souvenir n'est pas prêt de s'effacer.

 

Vous trouverez un texte de l'artiste(1996) en suivant ce lien:

http://expositions.bnf.fr/face/rencon/chris/droite.htm

Vous trouverez sur le site photopera.org, un espace pour la photographie suisse d'auteur, des exemples du travail d' Olivier Christinat.

Patrick Schaefer, L'art en jeu, 8 juin 2003

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