L'art en jeu
Ce texte a été rédigé et remis à la rédaction du journal Le Temps en date du 7 février 2001. Il est paru le 21.02. 01. Dans l'entre-temps, la commission des finances du Grand Conseil vaudois a décidé de refuser le crédit d'étude du Plan cantonal d'aménagement de la parcelle de Bellerive-plage et d'organisation d'un concours d'architecture renvoyant cette décision à une séance ultérieure du parlement.
Bâtir un musée : enjeu urbanistique
par Sylvain Malfroy, professeur dhistoire et de théorie urbaines
Département darchitecture
Ecole polytechnique fédérale de Lausanne
Les analyses dédiées à la ville dans les pages culturelles du Temps contribuent utilement à extraire le débat urbain de léchelon local où il est trop souvent confiné. Ceci est dautant plus opportun que la position intermédiaire de lurbanisme, entre technique et préoccupations humanistes, reste mal comprise. Il est bon de rappeler que les modifications du paysage urbain ne résultent pas que de « contraintes » mais exposent aussi à la discussion des conceptions de la circulation, des théories de la transformation urbaine, des représentations des usages sociaux de lespace. La critique de ces idées à la lumière des résultats permet dapprendre. Illustrer la portée générale denjeux urbanistiques ponctuels ne signifie pas pour autant oublier le concret. Il sagit plutôt de mettre en tension la perception du réel et lanticipation du possible pour favoriser localement la liberté dentreprendre et discipliner globalement la pensée. Lausanne caresse le projet dédifier un musée prestigieux au bord du lac. On salue ici lambition tout en déplorant la désuétude du site retenu.
Des amateurs dart sactivent pour doter la capitale vaudoise de salles dexposition plus spacieuses et prestigieuses que celles de lactuel Musée cantonal des beaux-arts (MCBA). Menée à titre privé, cette initiative audacieuse susciterait ladmiration et la reconnaissance. Mais les collectivités publiques étant sollicitées, léquilibre des intérêts demande vérification. En létat du dossier (lire LT des 11 et 20 janv.), tout se passe comme si (je simplifie) le groupe promoteur savait ce quil faut construire et nattendait plus des autorités que la désignation dun lieu : ce sera un musée analogue à celui de la Fondation Beyeler à Riehen, reste à savoir où ? Cette réduction de luvre architecturale à un objet autosuffisant est courante dans la construction de villas individuelles, mais pour un édifice engageant laide publique, elle est inacceptable. Le rayonnement dun musée varie avec son contexte et ces deux versants du projet doivent être pensés ensemble. Par ailleurs, un tel édifice recèle un potentiel de transformation de la ville quon sappauvrirait à laisser en friche. La nouvelle est tombée : le Conseil dEtat arrête son choix sur une parcelle résiduelle au bord du lac, entre les ateliers de la CGN, la place foraine et les bains de Bellerive. Peu de frottements sont à craindre, on ira vite.
Un musée est une institution fragile. Il a besoin de sappuyer sur des infrastructures porteuses (préexistantes ou complémentaires) pour voir le jour avant de favoriser à son tour, éventuellement, la réorganisation du contexte urbain. Admettons que le futur MCBA occupe le site retenu : que trouve-t-il pour lépauler ? quelles perspectives de développements ouvre-t-il à ses abords ? Pourquoi perturber la bonne complémentarité entre cette parcelle, propice à des animations saisonnières en parfaite complémentarité avec la plage, la place foraine et le contexte général dOuchy comme espace de flânerie et de divertissement et vouloir insuffler une dynamique à un lieu qui se porte justement très bien ? Sil doit sagir dunir dans le bas de la ville plusieurs institutions culturelles dans un même « quartier », parce que celles-ci en sortiraient renforcées, lalternative est simple : Vidy, dans les environs du théâtre (la question y a été étudiée, il y a dix ans !), ou le Denantou, à proximité des musées olympique et de la photographie (lexcellence architecturale se nourrit de grands défis !). On ne soutiendra pas autrement la comparaison avec le musée de la Fondation Beyeler, retenu comme « référence idéale » (LT 11 janvier).
Parmi les affinités quun musée développe avec dautres éléments fonctionnels de la ville, il ny a pas que les autres musées. Un musée fait vivre les librairies, les magasins de reproductions, les restaurants, il a besoin de salles de conférences et de spectacle, de bibliothèques et de centres de documentation, de places de stationnement,
et de public ! Lénumération de ces synergies suffit à souligner combien un musée est dépendant de la ville dans ses parties les plus actives et animées et combien il contribue, en retour, à soutenir une offre de qualité dans lespace de consommation des biens et des services. Celui-ci reste, à Lausanne, circonscrit à la zone centrale. Le projet précédent dinstallation du MCBA dans lancien palais du Crédit Foncier, à Chauderon, misait à juste titre sur cette proximité. Si les obstacles à cette reconversion sont rédhibitoires, il nest pas exclu de trouver une localisation équivalente pour un musée neuf. Lesplanade de Montbenon, dont le potentiel urbanistique reste largement sous-exploité, mériterait une étude. La collectivité a certainement plus à gagner dun réseau dense déquipements culturels que dun semis dispersé et chétif. Elle doit veiller par ailleurs à la lente érosion de lattractivité de lespace public au centre ville. Rien ninterdit cependant de mesurer les avantages dune solution décentralisée, pour autant que la configuration des lieux soit favorable à lexpérimentation de nouvelles manières dagrandir et déquiper la ville, ce qui nest pas le cas à Bellerive-plage.
Létude dun Plan cantonal daménagement est maintenant précipitée. Le site prévu pour le futur MCBA nest pas à la hauteur des ambitions du projet. Il faut reprendre avec de meilleurs critères lévaluation comparative des seize sites de départ, et si rien ne se dégage, en évaluer un dix-septième, un dix-huitième
Tous les partenaires du projet doivent gagner. Ils le pourront à condition que le nouveau musée soit plus quun musée seulement, plus quune uvre darchitecture isolée, si géniale soit-elle, splendidement isolée sur un site marginal. Il faut que ce futur musée participe à la construction de la ville par une mise en uvre créative des moyens de larchitecture véritablement associés à ceux de lurbanisme.
Sylvain Malfroy,
6 février 2001
Des remarques personnelles sur cette affaire.