L'ART EN JEU

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Pour suivre les activités d'art &fiction:art&fiction

Stéphane Fretz expose à la galerie ESF à Lausanne. Petit atlas de centauroloie. Gravures jusqu'au 29 avril 2006

Par ailleurs art & fiction ouvre un nouvel atelier à l'avenue de France 16 à Lausanne

Paysage avec Don Quichotte, Philippe Fretz, Stéphane Fretz, Stéphane Zaech, peintures, dessins, gravures du 17 avril au 29 mai Manoir de la ville de Martigny.

Prochaine exposition: Retour d'Egypte du 3 décembre au 17 juin 2005 Unité d'art contemporain BFSH2 Dorigny - Lausanne.

Quelques questions à Stéphane Fretz et Christian Pellet, créateurs et responsables des éditions art&fiction. (Ils sont tous deux artistes peintres par ailleurs)

1. La déclaration liminaire du catalogue 2002 des éditions art & fiction est la suivante : « art & fiction produit et diffuse des publications conçues par des artistes visuels et en particulier des peintres, destinées à mettre en évidence quelques articulations originales entre l’image et le texte sous l’angle de la narration.» Pourriez-vous développer un peu cette affirmation, en particulier la notion de narration dans la relation qu’elle entretient avec l’image et le texte ?

1. CP : art&fiction est avant tout un outil développé par un petit groupe de peintres vers 1999-2000. Ces peintres, formés pour la plupart à Lausanne et Genève dans les années 1980 (donc d'une génération particulière: ni tout frais moulus, ni vénérables vermoulus), ont ressenti comme une sorte de nécessité de créer une structure d'édition autonome pour communiquer leurs travaux. Il existe bien sûr dans la région des éditeurs qui honorent d'une manière très convenable le travail des peintres mais il faut avouer qu'il est plus facile d'être publié si l'on est mort (ou presque mort). Ou déjà soutenu par certaines institutions.

A l'époque où nous avons commencé à collaborer, Stéphane Fretz et moi, nous avons fait un double constat: premièrement que nous étions nombreux, en tant que peintres, à consigner, aux fonds de nos tiroirs, des écrits (les nôtres mais aussi ceux d'amis) et, deuxièmement, que notre travail s'élaborait dans un rapport soutenu avec la littérature, notamment de fiction. Nous savions qu'il n'y avait là rien de nouveau, ni du côté des peintres qui écrivent, ni de celui des artistes visuels influencés par le récit ou la dramaturgie. Seulement une matière à développer, autrement, pensions-nous, que dans les formules classiques de type estampe-poésie ou illustration de roman. Et surtout, il y avait la perspective plutôt agréable de fabriquer des objets dans de belles matières, qui rassemblent des images (dessins, gravures, tampons, photographies,...) et des textes (dialogues, nouvelles, notes, correspondances,...). L’élément narratif s'est installé presque naturellement dans ce processus.

2. La plupart des artistes auxquels vous donnez la parole utilisent, comme vous-même d’ailleurs, les techniques traditionnelles de l’expression artistique : dessin, peinture, gravure et revendiquent un recours anti-moderniste à la narration, aux genres, à la mythologie, au portrait ou encore au paysage. Cette observation est-elle exacte ? pouvez-vous situer le rôle du livre dans cette optique ?

2. CP : Il faut apporter des nuances à cette observation. On peut utiliser des techniques traditionnelles -encore faut-il s'entendre sur le sens de ces mots: pour moi, il existe déjà, par exemple, une tradition de la vidéo, ici et ailleurs- sans forcément les associer à une approche "anti-moderniste" des genres. La fiction, dans cette optique, me paraît être une notion très rassembleuse. Loin de nous confiner à des antagonismes assez superficiels ou, pour le moins, épuisants (technique traditionnelle versus médium contemporain, figuration versus abstraction, etc.), elle ouvre à toutes sortes de possibilités. Et surtout, elle nous paraît accessible à chacun. Personnellement, je me garderais de revendiquer un recours anti-moderniste à la narration; ça fait un peu vieille baderne incontinente, comme disait Pierre Desproges à propos des membres de l'Académie française. D'un autre côté, quoi de plus agaçant que ce jeunisme pop et fun, lisse et ennuyeux, que revendiquent aujourd'hui, pardon, imposent sur le marché de l'art certains milieux de la culture officielle. Je trouverais regrettable que les livres édités par art&fiction soient accueillis comme le fait de peintres prématurément vieillis. Mais plus regrettable encore serait de renoncer à nos projets pour se fondre dans la tendance "décorative" du moment.

2. S.F.: Je n’ai rien contre, a priori, passer pour une vieille baderne. Truffaut disait à propos de Jules et Jim: «je voulais faire un film de vieux». C’est un programme intéressant.

La question du modernisme, c’est autre chose: le modernisme est une période historique achevée. Il serait du dernier ridicule de se prétendre moderniste de nos jours. La période moderniste a été un temps de l’épopée: le temps des héros. Aujourd’hui nous sommes dans la situation de Don Quichotte par rapport aux romans de chevalerie. Le temps des chevaliers est passé, se lancer dans une épopée n’a plus de sens. C’est là qu’entre en scène ce que j’entends par fiction: avec Don Quichotte, Cervantès a inventé le Roman moderne parce que l’épopée n’était plus possible. Nous devons trouver quelque chose de semblable en peinture aujourd’hui. Il s’agit de rendre compte d’une épopée que nous n’avons pas vécue: nous ne la connaissons donc que «par tradition» (dans ce sens la tradition m’intéresse) .

Quelles sont les possibilités ? Il suffit de regarder autour de soi pour faire le détail des postures mises en œuvre: Rendre compte de son impuissance. (Le moteur triste de l’auto-fiction.) Documenter, trier, classer, accumuler, archiver. (La furia castratrice de l’encyclopédie.) Rejouer la scène, imiter, copier-coller. (L’épuisante pulsion parodique.) Commenter, discourir, légender, en-bas-de-page-noter. (L’aride habitat de l’éxègète.) Signifier, logofier, trade-marquer. (Ce qui ne se vit pas peut encore se consommer.) Simplifier, abstraire, désubstantifier. (Programme du décoratif dérisoire.) Piédestaliser, sacraliser, panthéoniser. (Carburant du pompiérisme décoratif.) Ou, autre versant du même: ironiser, minimiser. (Ce que je dégrade ne me fera pas souffrir.)

Toutes ces postures ont un ressort: celui de la négation.

Nous vivons en ce moment là-dedans. Nous adoptons tous, plus ou moins, l’une ou l’autre de ces postures. Ce qui lie les quelques peintres gravitant autour d’art&fiction, c’est l’affirmation tout cela ne tient pas face à ce que Roger Nelson ou Philip Guston ont appellé «the actual act». Dans l’acte de peindre, de graver, de dessiner, la posture du déni est impossible.

La question qui reste est la suivante: comment savoir si l’on est bel et bien dans l’acte de peindre ? (et non pas seulement dans l’idée de peindre, ou dans la nostalgie ?) La réponse de Manet était sublime: « C’est ça parce que c’est ça !»

Voir que le château peinture est en fait un pauvre moulin est extrêmement lucide, c’est le privilège de la posture déprimée du déni. L’esprit de sérieux. Ce que je n’ose pas avouer, c’est que j’aimerais que ce moulin soit un magnifique château. et très vite je hais le moulin de n’être qu’un moulin.

L’épopée nous enjoignait de croire aveuglément que le moulin est un château. Pour nous qui ne croyons plus, il reste à mettre en œuvre une fiction: «Le ridicule moulin est un château qui mérite le combat parce que je le veux.»

Affirmer cela, ce n’est évidemment pas sérieux. Dans ce sens, plutôt qu’un professionnel de l’art, je pourrais bien être un peintre du dimanche, c’est-à-dire un mystique.

3. Le catalogue des éditions art & fiction est déjà bien fourni et révèle une activité intense en 2002. Avez-vous autant de projets nouveaux en préparation ? Quelle est l’étendue géographique du champ de recrutement de vos aventures éditoriales ?

3. CP : Petit à petit, un nombre grandissant d'artistes s'adressent à nous pour être édités. Nous venons de faire paraître le deuxième numéro de notre collection DOCUMENT, consacré à dix peintres genevois, avec une chronique de la journaliste Elisabeth Chardon. C'est aussi à Genève que nous avons recruté l'auteur du prochain numéro de notre série de livres d'artistes PACIFIC, Pascale Favre qui, sous le titre De nuit, réalisera ce mois un bel assemblage d'une gravure et d'un récit aux allures autobiographiques. Le peintre chinois Jie Qie, également établi à Genève, puis Muma Soler, Catalan vivant à Lausanne signeront les éditions suivantes. Au début de l'année prochaine, le troisième numéro de la collection DOCUMENT réunira en un projet intitulé Leçon de ténèbres des artistes déjà publiés par art&fiction: Stéphane Zaech, Daniel Frank, Philippe Fretz, nous-mêmes, le photographe Olivier Christinat, ainsi que, nouveau venu, Marc de Bernardis. Côté co-édition et diffusion, après Robert Ireland en 2002, nous avons le plaisir de proposer le dernier livre de Christine Sefolosha: Hanté.

Patrick Schaefer, L'art en jeu, 15 juin 2003

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