L'ART EN JEU

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A signaler: Lugano Museo cantonale d'arte

Alexej von Jawlensky: la valeur du trait, Jawlensky dialogue avec Matisse, Hodler et Lehmbruck du 28 septembre 2007 jusqu'au 6 janvier 2008

Fondation de l'Hermitage, Lausanne

Jawlenski en Suisse 1914-1921. Rencontres avec Arp, Hodler, Janco, Klee, Lehmbruck, Richter, Taeuber-Arp

Variations sur un thème de paysage, Têtes mystiques, Faces du Sauveur, Têtes abstraites, sous ces titres Alexei Jawlenski (1864-1941) a réalisé des œuvres de petit format au cours de son séjour en Suisse entre 1914 et 1921. Reprenant constamment les mêmes thèmes et des formes identiques, il a exploré par d’innombrables variations de couleur, les effets, l’impact, le pouvoir de la peinture. Il s’est détaché de la réalité, tout en restant fidèle à une forme de figuration. Ces quatre groupes d’œuvres forment le cœur de l’exposition présentée à la Fondation de l’Hermitage. Exposition qui par ailleurs tente de dresser le réseau des affinités électives de Jawlenski avec d’autres artistes actifs en Suisse au cours de cette période.

Une approche sérielle

La Suisse a servi de refuge à de nombreuses personnalités artistiques au cours de la Première Guerre mondiale. Jawlenski fut l'une d'elles. Alors qu’il était une figure importante de la vie artistique à Munich où il vivait depuis 1896, très proche de Kandinsky, il dut quitter l’Allemagne brusquement. Il a vécu d’abord à Saint-Prex, pendant 3 ans, puis 6 mois à Zurich et enfin, chassé par la grippe espagnole, à Ascona.

Arrivé en Suisse à l’âge de 50 ans, Jawlenski a approfondi et développé les influences reçues à Munich en se détachant du groupe auquel il était lié et en affirmant sa propre démarche. Il adopte une approche sérielle du paysage, puis du visage. Profondément marqué par sa culture orthodoxe russe, il recherche un hiératisme égyptien, byzantin, en développant pourtant d’innombrables variations d’une grande subtilité. Peut-être a-t-il été encouragé ou confirmé dans sa recherche par les dernières œuvres de Hodler qui, si elles partent de prémisses très différentes, vont assurément dans la même direction. L’artiste se considérant comme un passeur plutôt qu’un acteur. Ce sont ces parentés, attestées par des contacts effectifs, mais pourtant trop éloignées pour que l’on puisse véritablement parler d’influences, que l’exposition met en évidence. Accessoirement c’est une vision assez inattendue de cette période du dadaïsme zurichois que le texte du catalogue fait ressortir. On découvre en effet des artistes davantage préoccupés de transcendance, de mysticisme pictural que de révolution politique. Contrairement à ce que pourrait laisser entendre son titre l’exposition exprime avant tout une approche esthétique plutôt qu’une approche historique, ce qui contribue évidemment à la réussite visuelle de l’ensemble.

On peut alors s’interroger sur la définition d’un contexte dans lequel insérer la production d’un artiste. Faut-il choisir un cercle très large, international, pour mettre en évidence des parentés et des différences dans les préoccupations des artistes. Jean Clair avait développé cette problématique dans son exposition du Palazzo Grassi à Venise en 1995 en opposant les approches positivistes d’une part et les artistes soucieux de faire apparaître l’invisible (Identity and Alterity, figures of the body 1895/1995, La Biennale di Venezia, 1995. Dans le cas de Jawlenski, en plus de Kandinsky, on peut mentionner Malevitch et pourquoi pas peut-être Schönberg, c’est entre ces deux derniers artistes que Jawlenski était présenté).

Affinités électives et réalité historique

Le choix de rechercher des parentés esthétiques avec des artistes actifs en Suisse pendant cette période permet de découvrir des similitudes de préoccupation chez Paul Klee, Hans Richter ou Sophie Taeuber-Arp qui apparaissent avec finesse dans les oeuvres exposées. Par contre les artistes que Jawlenski a le plus fréquenté sont exclus de l’exposition, car leur démarche ne révèle aucune parenté. L’auteur du texte du catalogue Angelika Affentranger-Kirchrath reconnaît que même la compagne de Jawlenski, Marianne von Werefkin, peint dans un tout autre esprit. Quant à Cuno Amiet, il ne figure pas dans l’exposition puisqu’il n’y a rien de commun dans leur approche. (p. 10 « Même avec Cuno Amiet et Arthur Segal, qui faisaient tous deux partie du cercle étroit des amis de Jawlenski, les analogies dans l’oeuvre et l’appréhension du monde sont trop restreintes pour justifier leur étude ici. »).

Il s’agit d’un choix compréhensible qui met en évidence des affinités esthétiques, mais il est un peu surprenant. Les cheminements parallèles et les dialogues impossibles ne sont-ils pas tout aussi passionnants ? l’exposition ne met-elle pas en scène une fiction ? Cette approche permet de bien comprendre la spécificité de Jawlenski. Elle souffre toutefois d’une ambiguïté, entre une approche véritablement historique, qui montrerait tous les artistes avec lesquels il a été en contact, même s’ils n’ont pas de parenté esthétique avec lui et une interprétation esthétique. Cette dernière domine clairement, ce qui contribue bien sûr à la qualité visuelle de la présentation. La clef de l’intérêt manifesté pour Jawlenski réside peut-être dans cette observation de Paul Nizon à propos de la représentation de la figure humaine chez ce peintre : « Elle n’est pas un cri de détresse, elle n’évolue pas aux confins du blasphème, elle ne secoue pas, n’évangélise pas. Elle jaillit de la dévotion, de la richesse d’un trésor de foi » cité p. 210 du catalogue d’après Paul Nizon, « Das Menschenbild bei Jawlenski » Kunstnachrichten, vol. 1, no1, septembre, 1964.

Un regard moderne sur l’image sérielle

On peut s’étonner de l’attention portée à Jawlenski au cours des dernières années. Il a fait notamment l’objet d’expositions à Wiesbaden en 1991, à Genève en 1995 et à Dortmund en 1998. Il s’agit typiquement d’un artiste qui est reconsidéré sous l’influence de l’oeuvre d’artistes postérieurs. C’est dans la seconde moitié des années 1960 que l’on a commencé à s’intéresser aux artistes qui ont développé une approche sérielle de Monet à Warhol, en passant par Rothko et Stella. (Il faut relever que l’une des premières expositions consacrées aux approches sérielles a été organisée à Pasadena en Californie en 1968 par John Coplans. Il avait écrit un article sur Jawlenski en 1966, Shirley Hopp et John Coplans, « Jawlenski and the serial image », dans Jawlenski and the serial Image, cat. Irvine-Riverside, 1966. John Coplans allait devenir peu après le rédacteur en chef de l’une des revues d’art contemporain les plus influentes, Art Forum. Aujourd’hui il est surtout connu pour son travail de photographe dans lequel il explore constamment son propre corps fragmenté). Depuis ce moment Jawlenski a été reconsidéré et occupe une place de précurseur de démarches développées dans les années 1960. Pour monter qu’il s’agit bien d’une préoccupation très actuelle, on relèvera qu’une exposition récente : One Thing After Another présentée jusqu’au 2 janvier 2001 au Museum of Modern Art à New York a exploré la démarche sérielle dans la gravure contemporaine. Elle associait des travaux des années 1960 de Jasper Johns, Ellsworth Kelly, Roy Lichtenstein, et Frank Stella, à des recherches récentes développées sur un mode plutôt ironique par John Armleder, Sherrie Levine et Yukinori Yanagi.

Fondation de l’Hermitage, Lausanne jusqu’au 13 mai 2001.

Catalogue par Angelika Affentranger-Kirchrath, Jawlenski en Suisse 1914-1921. Rencontres avec Arp, Hodler, Janco, Klee, Lehmbruck, Richter, Taeuber-Arp. Ed. Benteli, Berne, 2000. L’exposition sera présentée à la Stiftung Wilhelm Lehmbruck Museum, Duisburg , du 30 juin au 9 septembre 2001.

Patrick Schaefer, 8 février 2001, L’art en jeu.

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