Georges Braque: Galeries nationales du Grand Palais, Paris.
( L’exposition Georges Braque est présentée au Guggenheim de Bilbao du 13 juin au 21 septembre 2014.)
Georges Braque (1882 – 1963) jusqu’au 6 janvier 2014. Pour marquer le cinquantenaire de la mort de l’artiste, le Grand Palais propose une vaste rétrospective Georges Braque. Organisée de façon rigoureusement chronologique, elle illustre les divers moments de la carrière du peintre avec 250 oeuvres. Le premier choc initiateur pour Braque, c’est le fauvisme dont il va explorer les ressources dans divers paysages de l’Estaque et de la Ciotat en 1906 – 1907. Proche d’Apollinaire, Kahnweiler et Picasso, il évolue vers des oeuvres construites qui abandonnent le foisonnement coloré dès 1908 pour des dégradés de camaïeu. Matisse parlera de petits cubes, c’est le cubisme analytique. Après quoi il expérimente les papiers collés, renonçant à peindre l’illusion et empruntant des papiers qui font penser à du bois. On assiste à la dissociation entre couleur et forme. Dès 1913 on parle de cubisme synthétique. On ressent l’exigence de Braque, l’envergure immense de ses ambitions, il veut refonder toute la problématique de la figuration, de la représentation. On voit qu’il invente, expérimente, mais aussi, il répète beaucoup le même sujet, pratique la série. Dès 1911, il introduit des lettres dans ses compositions. Ses femmes à la guitare sont tout, sauf sensuelles, formées de planches superposées ! contrairement à Picasso, il n’a pas mis en scène sa propre existence, mais développé rigoureusement ses expériences, ses théories. Il est un véritable précurseur de l’art conceptuel et de beaucoup de démarches basées sur l’appropriation. Ses toiles restent à la fois déroutantes et très actuelles. Braque a bénéficié de plusieurs grosses promotions en début de carrière avec le cubisme et après la guerre, à travers la galerie Maeght, ce qui a maintenu la visibilité de son nom. Mais l’oeuvre ne sera jamais populaire, pourtant on voit qu’elle a nourri de nombreux artistes, en fait tous ceux qui se posent la question de la représentation de la réalité ont appris et peuvent encore apprendre de ses recherches. L’influence qu’il a exercée est assurément considérable. En même temps on sent que le voisinage de Matisse et de Picasso provoque sans doute une certaine retenue, Braque veille à ne pas être influencé par eux, à formuler les choses autrement.
Patrick Schaefer, l’art en jeu 17 décembre 2013
L’exposition Bonnard du musée d’Orsay me permet de reprendre sur cette page des articles antérieurs consacrés à cet artiste.
Musée d’Orsay Paris, Pierre Bonnard. Peindre l’Arcadie jusqu’au 19 juillet 2015.
Bien qu’elle bénéficie de nombreux prêts extérieurs, l’exposition du Musée d’Orsay se concentre sur la présentation de toiles qui se trouvent dans les collections publiques françaises et en particulier celles du musée d’Orsay. Associant une approche chronologique et thématique, elle met en avant les grands, voire les très grands formats peints par l’artiste. Ce choix favorise une entrée envoûtante dans l’univers de l’artiste. L’une des particularités de cette présentation est de casser les oppositions habituellement mises en évidence dans les différentes périodes créatrices de l’artiste. En effet la première salle est consacrée à la période nabi et l’exposition s’achève sur les grandes décorations réalisées par Bonnard au début de sa carrière. On voit ainsi qu’il a toujours été fasciné par l’idée de plonger le spectateur complètement dans la peinture. Il évoque tout au long de sa vie l’Arcadie.
Après les surréalistes, la Fondation Beyeler consacre une partie de ses cimaises aux peintures de Pierre Bonnard jusqu’au 13 mai 2012. Dans huit salles sont rassemblées 65 toiles de toutes les périodes de l’artiste, plutôt qu’une approche chronologique, c’est un accrochage thématique qui a été privilégié. Si la permanence de certains thèmes, de certains intérêts est incontestable, la concentration sur l’univers intérieur de l’artiste, exprimée par la référence aux maisons dans lesquelles il vécut, sans tenir aucun compte de l’évolution du temps, crée des collisions parfois étonnantes. Plus que de thèmes à proprement parler, il s’agit d’ailleurs d’explorer des approches esthétiques, comme la relation entre l’intérieur et l’extérieur, une problématique qu’il partage avec Matisse notamment. (On peut d’ailleurs dresser un autre parallèle avec Matisse entre les odalisques de ce dernier et les salles de bain de Bonnard). On aboutit finalement au constat de l’enfermement presque obsessionnel adopté par l’artiste pour se vouer à son activité picturale, exprimé dans ces intérieurs intimes et dans l’utilisation fréquente du miroir qui crée une fausse ouverture et renforce l’enfermement. La première salle est consacrée au thème de la rue, puis l’on découvre la salle à manger, le plus grand espace est consacré à la salle de bain qui occupe une place centrale dans l’oeuvre de Bonnard; une salle consacrée au miroir lui fait écho et la prolonge. Les trois salles tournées vers le parc évoquent bien sûr le jardin et le paysage. L’exposition s’achève sur les relations intérieur – extérieur, essentielles dans les compositions de Bonnard. Ce choix d’accrochage me donne le sentiment que Bonnard demeure plus un Nabi qu’on ne tend à le percevoir dans une approche chronologique qui distingue cette première partie de sa production. Et l’on observe en permanence des échos de l’oeuvre de Kerr Xavier Roussel ( L’été, 1917) et de Maurice Denis ( La Terrasse à Vernon, 1920 – 1939). Cette confrontation directe des différentes périodes rend aussi plus frappante la dissolution des formes dans la couleur et l’éblouissement de la lumière dans les paysages tardifs.
Patrick Schaefer L’art en jeu 29 janvier 2012.
Fondation de l’Hermitage Lausanne: Van Gogh, Bonnard, Vallotton… La collection Arthur et Hedy Hahnloser jusqu’au 23 octobre 2011. A signaler que les Hahnloser furent parmi les principaux amateurs et amis de Pierre Bonnard, la collection présentée en ce moment à la Fondation de l’Hermitage offre un ensemble exceptionnel d’oeuvres de cet artiste. Chacune des nombreuses toiles retenues montre ce qu’il a fait de mieux, on voit que les collectionneurs bénéficiaient d’un premier regard et qu’ils ont su choisir des oeuvres particulièrement caractéristiques et fortes.
La ville du Cannet a inauguré un musée Pierre Bonnard le 25 juin 2011
Musée d’art moderne de la ville de Paris Pierre Bonnard (1867 – 1947), L’oeuvre d’art, un arrêt du temps jusqu’au 7 mai 2006
Après Beaubourg en 1984, Lausanne en 1991, Londres en 1998, Paris et le musée d’art moderne de la ville restauré, rendent hommage à Pierre Bonnard. L’approche est à la fois chronologique et thématique autour des trois motifs qui ont animé l’inspiration de Bonnard: le nu, la nature morte et le paysage. Avec 90 toiles, il s’agit d’une importante rétrospective. Toutes les étapes de l’évolution créatrice de l’artiste sont illustrées de la période nabi aux embrasements colorés de la maturité. Bien que Pierre Bonnard, né en 1867 soit décédé en 1947, une exposition comme celle-ci permet de saisir l’extraordinaire modernité de sa démarche, elle met en évidence l’intensité de l’activité du peintre.
Pierre Bonnard et les nabis: Bonnard est l’une des figures les plus marquantes du mouvement nabi qui fut par ailleurs animé par des artistes comme Vuillard et Vallotton. Ces “prophètes” inspirés par les estampes japonaises ont remis en cause la perspective traditionnelle héritée de la Renaissance. Ils s’intéressent autant à la vie urbaine, aux scènes de rue qu’à la représentation de l’intimité, de plus ils cherchent à diffuser leurs oeuvres et mettent en valeur la lithographie. En réalisant des affiches très parlantes, et Bonnard connaîtra ses premiers succès dans ce domaine. Cette période est peu montrée, seule la naissance des thèmes majeurs de l’oeuvre est évoquée avec Le Peignoir 1892 et L’homme et la femme,1900. Le premier point fort et exceptionnel de l’exposition est la présentation des grandes décorations réalisées pour Misia Sert (1906-1910) Après le déluge, Jeux d’eau et Le Plaisir et Le Printemps et L’Automne réalisés pour Morozov (1911-1912), des travaux qui s’inscrivent dans la continuité des préoccupations des Nabis et qui annoncent tout à fait les travaux futurs de l’artiste marqués par le foisonnement végétal et la disparition de la perspective.
Le motif du nu: Après avoir été l’une des figures majeures du mouvement nabi, Bonnard ne suivra pas les péripéties de la vie artistique du début du siècle le fauvisme et le cubisme notamment. Il va tracer son propre cheminement en approfondissant quelques motifs centraux. Bonnard a de préférence situé ses figures dans des intérieurs ou dans une confrontation entre l’intérieur et l’extérieur en peignant des terrasses et des fenêtres. Le nu occupe une place essentielle chez Bonnard, l’exposition permet de suivre les étapes de sa recherche sur ce motif grâce à un ensemble de toiles majeures. La courbe des cimaises du musée d’art moderne permet une présentation remarquable de cette succession de nus en particulier les toiles allongées où l’on voit Marthe dans sa baignoire. La diversité des éclairages, des coloris choisis par Bonnard souligne le métier du peintre, alors qu’il reprend inlassablement le même motif; tantôt la femme irradie des tonalités rouges extrêmement denses, tantôt la composition est marquée par une dominante jaune ou alors il adopte des tons froids, retenus. L’audace des mises en scène, l’éclat du coloriste permet de le comparer aux plus grands peintres: Titien ou Rembrandt.
Un coloriste flamboyant: Tout au long de sa vie Bonnard a également développé d’autres motifs, les natures mortes, les paysages et les vues d’intérieurs. Dans ces dernières on retrouve des mises en page audacieuses et originales. L’artiste s’arrête sur des plans de vie quotidienne comme un cinéaste ou un photographe. A ses débuts il consacrera de nombreuses oeuvres à la famille Terrasse, puis plus tard c’est l’intérieur de sa maison du Cannet qu’il prendra pour motif. La porte – fenêtre est ouverte sur le jardin, intérieur et extérieur prennent des tonalités flamboyantes, Bonnard comme Vélazquez joue avec le miroir. Les natures mortes sont l’occasion pour le peintre de rechercher des harmonies étonnantes, elles lui permettent d’affirmer son extraordinaire talent de coloriste. Après le nu, l’exposition explore la mise en scène des paysages/terrasses qui associe le quotidien et l’éternel dans la profusion de la végétation. Les autoportraits viennent ponctuer cette rétrospective et nous rappellent que Bonnard a fréquemment traité ce motif cher aux grands peintres. Une salle est consacrée aux dessins et aux photographies de l’artiste. Suivent les intérieurs et les natures mortes, les salles à manger puis l’exposition s’achève sur ces nombreux paysages qui frisent l’abstraction tant la perception de l’espace vient à disparaître.
La fortune critique de Bonnard: Bonnard n’est pas un peintre maudit, très tôt ses talents ont été reconnus sa première affiche fut un succès, on le considéra comme l’artiste le plus prometteur parmi les nabis. Un critique influent comme Thadée Natanson, des marchands comme Vollard ou les Bernheim défendirent sa peinture, de sorte qu’il put toujours vivre de son art et ses toiles se négociaient à des prix non négligeables. Dès les années 30 Bonnard se retira complètement au Cannet, à la fin de sa vie il refusait de vendre ses oeuvres. L’histoire de l’art marquée par la recherche des avant-gardes et la succession des ismes: impressionnisme, nabisme, cubisme a très tôt donné une place importante au Bonnard nabi, mais ne savait que dire et où placer l’oeuvre de la maturité. Ce n’est que dans les années 1970 que l’on se mit à questionner cette conception de l’évolution artistique et à prendre davantage en considération l’oeuvre entière des peintres. Cette révision était couronnée en 1984 par une exposition de l’oeuvre ultime de Bonnard à Beaubourg qui comprenait 40 toiles. La rétrospective actuelle marque l’aboutissement de ces reconsidérations.
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