Sam Taylor (Wood) – Johnson

50 Shades of Grey 2015

Ayant suivi l’actualité artistique sur mon site depuis une quinzaine d’années, il arrive que je retrouve soudain certains artistes au centre de l’actualité. Actualité sulfureuse même, puisque le dernier film de Sam Taylor (Wood) devenue Johnson, 50 Shades of Grey suscite débats et critiques. Je reprends ici les articles que j’ai consacrés à cette artiste-cinéaste depuis 2002. Elle semble d’ailleurs suivre Steve Mac Queen à la trace avec toujours un petit décalage, je pense au film Shame, 2011 de ce dernier dont celui-ci pourrait être le pendant, moins dense. Depuis le début de sa carrière, Sam Taylor Wood a montré des figures belles, lisses apparemment innocentes. Elle exalte en particulier les hommes jeunes, ici l’acteur principal est lumineux. La question que je me pose après avoir vu ce film est: peut-on mettre un film dans une vidéo? Les images sont très soignées avec des arrière-plans denses, habités, par exemple cette bicyclette suspendue dans l’appartement que les deux étudiantes partagent qui contraste avec les immenses fenêtres, les sols de marbre des autres lieux où se déroule le film. La vision est souvent panoramique. Le traitement me semble assez proche d’une installation vidéo sur 5 écrans intitulée Pent up, de 1996. L’histoire est très banale, la découverte de l’amour par une jeune fille encore vierge qui rencontre l’homme idéal, jeune, beau, riche, bien élevé jouant du piano et qui sait danser, piloter un hélicoptère et l’emmène même en planeur! dans le décor du Nord ouest des Etats-Unis à Seattle. Ce Christian a juste des attentes particulières ou disons très dominantes sur le plan sexuel, un petit côté Barbe bleue ou Henri VIII, mais il ne va pas si loin ! Malgré la publicité  faite autour du film et le pseudo scandale, on est beaucoup plus près d’une série télévisée américaine tout public que d’un film de Polanski comme La Femme à la fourrure!  Contrairement à Steve Mac Queen, Sam Taylor (Wood) Johnson n’est pas animée par une approche militante, elle actualise des situations qui ont été représentées au cours des siècles dans une approche plutôt académique et très soignée.

Nowhere Boy 2009

Sam Taylor Wood comme plusieurs de ses collègues artistes, Steve Mac Queen, Douglas Gordon, Gillian Wearing, devient réalisatrice de cinéma avec Nowhere Boy, 2009, film consacré à John Lennon. On retrouve dans ce film bien des éléments visuels qui ont fait le succès des photographies et des vidéos de l’artiste. Le récit dramatique des origines familiales et de la jeunesse du musicien sont traités sur un rythme intense avec des moments paroxystiques, notamment dans le conflit entre les deux soeurs qui se sont disputées l’enfant. (où l’on retrouve l’intensité de Travesty of a Mockery) Le film se déroule entre deux deuils, la mort de l’oncle chez qui John vivait et à la fin la disparition brutale d’une mère lumineuse, à peine retrouvée. Les acteurs sont mis en valeur avec le regard érotique soft qui est la caractéristique de l’artiste. Elle les rend à la fois pétulants et rayonnants, saisis dans de très belles lumières picturales qui évoquent la Renaissance italienne, en particulier Botticelli (Venus et Mars de la National Gallery à Londres par exemple). Regard qu’elle a exprimé notamment dans le portrait de Beckham The Sleeping Beauty qu’elle a réalisé pour la National Portrait Gallery et avant dans Brontausorus et Noli me Tangere. Le scénario a été écrit par Matt Greenhalgh, l’auteur du scénario de Control consacré à Ian Curtis par Anton Corbijn. Personnellement, je vois des échos de Pedro Almodovar dans ce film, notamment la mort de Julia qui, dans sa brutalité, est carrément un remake de la mort du fils dans Todo sobra mi madre, 1999.

Patrick Schaefer, l’art en jeu 9 01 2011


 

Sam Taylor Wood expose à Baltic à Newcastle jusqu’au 3 septembre 2006.


 

Sam Taylor Wood est exposée à la BAWAG Foundation à Vienne jusqu’au 29 novembre.

Novembre 2004: Sam Taylor Wood expose à la galerie White Cube à Londres jusqu’au 4 décembre. Elle joue avec les limites du kitsch en explorant l’érotisme et les émotions avec un regard toujours intéressant. Elle a fait une série de photos d’hommes qui pleurent, des acteurs connus. Par ailleurs avec Self Portrait Suspended elle a réalisé une série de photos dans lesquelles elle semble en lévitation. Elle présente aussi un film Strings avec un personnage suspendu qui danse au-dessus d’un quatuor qui joue une pièce de Tchaikovsky.

Par ailleurs à la National Portrait Gallery on découvre un portrait vidéo de David Beckham. C’est un plan fixe de plus de 60 minutes dans lequel on le voit dormir ou chercher le sommeil. On voit une partie de son visage, ses épaules et ses bras. Il évoque l’image du faune endormi dans l’histoire de la peinture, mais aussi celle de Nijinsky; image de fragilité paradoxale pour un footballeur.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 2003


Sam Taylor-Wood, Hayward Gallery, Londres jusqu’au 21/06/2002

Née en 1967 Sam Taylor-Wood est l’une des plus jeunes artistes à bénéficier d’une rétrospective à la Hayward Gallery. (Elle sera bientôt suivie par son aîné d’une année Douglas Gordon). La plupart des pièces présentée sont postérieures à 1994 et elles ont été vues dans de nombreuses expositions au cours des dernières années. Sam Taylor-Wood développe un travail sur le mouvement de l’image passant avec virtuosité de films immobiles à de gigantesques panoramas photographiques. Elle associe la performance et les références aux mises en scène iconographiques les plus connues de la peinture: la Sainte-Cène et la Pietà par exemple. Elle visite la structure du tableau divisé en panneau central et prédelle dans la série Soliloquy. Elle propose une nature morte en mouvement dans cette exposition. Si l’on s’en tient à un certain niveau de discours très général, on peut utiliser les mêmes termes pour caractériser les travaux de Sam Taylor-Wood, de Gillian Wearing ou de Eija Lisa Ahtila: elles explorent toutes les trois les relations entre les êtres, la solitude, l’enfermement, le désir, la mort. Pourtant lorsque l’on compare les oeuvres, le style, les références adoptées on découvre des démarches fondamentalement différentes. Incontestablement Sam Taylor-Wood est celle qui veut être la plus proche du « registre artistique »; sa démarche est plus séduisante, imprégnée d’érotisme et de références cultivées, elle propose des produits techniquement très sophistiqués. Face à cette élaboration de plus en plus poussée, l’émotion a progressivement disparu.

Je me souviens avoir vu Pent up, il y a quelques années à Zurich et avoir trouvé ces monologues sur 5 écrans très impressionnants, mais ici ils sont un peu aseptisés, perdent leur intensité.

Les principales pièces présentées dans la rétrospective de la Hayward GallerySustaining the Crisis, 1997, deux écrans se font face dans une grande salle. Sur l’un on la voit marcher seins nus dans la rue, sur l’autre écran il y a un garçon immobile.

Still Life, 2001 3’44, on assiste à la destruction par pourrissement d’une nature morte de fruits. Un stylo à bille indique la profondeur et remplace le traditionnel couteau. La nature morte est par essence l’expression de l’immobilité dans la peinture, ici elle devient l’objet d’une fusion entre l’image immobile et celle qui est en mouvement. Le passage du temps n’est plus seulement évoqué, mais montré de manière très concrète.

Pent up, 1996 est une grande installation vidéo, sur 5 écrans différents, parallèles, on découvre 5 histoires différentes, 5 monologues. Au 1er étage sont présentés Killing Time, 1994, qui présente 4 personnages sur la musique d’Elektra de Richard Strauss. Par ailleurs sont exposées quelques pièces des séries de photos panoramiques Five Revolutionary Seconds et de Soliloquy. On retrouve Brontausurus, 1995, un danseur nu qui évolue dans une cellule très étroite. Hysteria, explore les variations d’expression d’un visage extrêmement agité, alors que Pietà, 2001 est une vidéo qui montre l’artiste portant un acteur dans la position du Christ tel qu’il apparaît dans la Pietà de Michelange. Dans Noli me tangere, 1998, on voit un homme en caleçon de face et de dos effectuant un mouvement de gymnastique.

Au rez-de-chaussée on découvre Third Party, 1999, montré à Lyon en 2001. Sept écrans de différentes dimensions présentent les protagonistes d’une soirée. On assiste aux échanges de regards, d’attitudes, aux variations de rythmes des conversations, les objets sont également mis en évidence. Sam Taylor-Wood peut sembler évoluer vers une expression de plus en plus mondaine en abandonnant la confrontation directe femme-homme qui marquait certaine de ses installations comme Travesty of a Mockery, 1995 et Atlantic, 1997. Ce qui ressort toutefois de l’exposition c’est l’attention portée aux mouvements du corps et aux variations d’expression du visage. L’image immobile ou en mouvement est imprégnée de cette fascination pour un théâtre de gestes silencieux et par cette écoute visuelle intense, elle rejoint aussi la peinture. Aujourd’hui, plus que la violence ou l’intensité dans les relations, on sent que c’est la perception et la traduction de ces mouvements codifiés ou naturels que Sam Taylor-Wood cherche à montrer.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 24 mai 2002