Biennales de Gwangju 2014, Berlin 2004, Liverpool 2002

Je rassemble sur cette page le compte-rendu de quelques biennales.

Biennale de Gwangju Burning Down the House jusqu’au 9 novembre 2014

Gwangju est une grande agglomération au sud de la Corée à 4-5 heures de Seoul. Avec 1,5 millions d’habitants, elle représente un bassin important pour une exposition biennale. Celle-ci, qui marque sa dixième édition, se veut toutefois internationale et ouverte sur tous les continents. Elle assure aussi, je n’ai pas les moyens de vérifier !, être la plus importante des biennales d’Asie, on sait que celles-ci sont très nombreuses. ( en Corée du Sud, il y a deux autres biennales au même moment à Busan et à Séoul). L’étendue de la ville est considérable, les autorités ont créé une sorte de Museumsinsel, non sur une île, mais sur une excroissance rocheuse. La Biennale dispose de son propre bâtiment et l’on trouve dans le voisinage un grand parc, des scènes de spectacle au grand air, ainsi que le Gwangju Museum of Art ouvert en 1992 et un musée des arts et traditions populaires. J’ai visité le site un samedi, la principale attraction ce jour-là n’était pas la Biennale, mais un festival des nourritures traditionnelles « Kimchi Festival » qui occupait tout le parc avec d’innombrables stands, petits restaurants et un lieu d’exposition.



L’exposition de la Biennale a été confiée à une ancienne conservatrice de la Tate Modern, Jessica Morgan. Elle révèle une maîtrise remarquable des divers registres de l’art contemporain et de leur présentation en associant tous les modes d’expression actuels. Le thème de la maison détruite, très émotif, permet de suivre plusieurs pistes, certaines engagées, les atteintes à la maison, mais aussi au corps, d’autres plus contemplatives ou qui relèvent de problématiques esthétiques. Elle suggère aussi de traiter les espaces d’expositions comme une maison, ainsi un papier peint créé pour l’occasion a été appliqué sur toutes les parois, défiant la tradition du White cube. Au dernier étage, à l’intérieur d’une reconstitution 1/1 de l’appartement de New York de l’artiste suisse Urs Fischer, on retrouve sous forme de papier peint, le décor des pièces de son logement. De plus dans un bâtiment annexe, confié à l’artiste canadien AA Bronson (1946), un peu éloigné, un papier peint aux motifs érotiques a été appliqué dans des salles consacrées à la présentation d’une collection de publications underground  des Queer Zines 1975 – 2014. On retrouve quelques grands noms qui sont notamment passés par le Turbine Hall de la Tate Modern: Olafur Eliasson, Dominique Gonzalez-Foerster et Carsten Höller. Mais il y a beaucoup de contributions d’artistes d’Asie non seulement des Coréens, ou d’Amérique du Sud. Une place considérable est faite à la peinture. J’ai noté par exemple celles très émouvantes de Tetsuya Ishida (1973 – 2005) ou encore celles d’Apostolos Georgiu (1952), un artiste grec bien représenté. La vidéo de Jonathan de Andrade (1982), The Uprising, 2012, raconte une étrange subversion de l’espace urbain à travers l’organisation d’une course de chars à Recife. En fait cette exposition qui se visite sans frustration en 3 ou 4 heures pourrait être présentée dans n’importe quel musée dans le monde. Si dans certaines salles elle tend à devenir une exposition thématique sur le feu dans l’art contemporain, elle échappe assez vite à une approche strictement iconographique pour emprunter des chemins de traverse avec beaucoup d’habileté. Pour compléter les visiteurs sont invités à se rendre dans un pavillon en retrait confié au canadien AA Bronson mentionné plus haut et qui a intitulé son projet House of Shame, 2014 et au musée d’ethnographie dont les reconstitutions complètent cette idée de la maison. Quatre petites peintures sur bois de Lubaina Humid, une artiste tanzanienne, qui questionne la disparition des savoir-faire ont été  ajoutées aux vitrines.

Arrivés au terme de cette édition, les organisateurs annoncent avoir reçu 200’000 visiteurs pendant les 66 jours d’ouverture.


Troisième biennale internationale de Berlin 2004

http://www.berlinbiennale.de/

Martin Gropius Bau, KW, Institut d’art contenporain , cinéma Arsenal (Potsdamer Plaz) jusqu’au 18 avril 2004

La biennale occupe un étage du Martin Gropius Bau , les salles d’exposition du KW institut d’art contemporain, (Kunst-Werke Berlin), alors que des projections de films sont programmées au cinéma Arsenal. La manifestation centrée sur Berlin et la notion de hub rassemble des travaux d’artistes autour de 5 problématiques urbaines: les migrations, l’urbanisme et les conditions de vie urbaines, la musique et la scène, la mode et le cinéma. Les travaux de chaque artiste sont le plus souvent présentés dans une salle. L’informatique et internet ne figurent pas dans la manifestation. L’exposition a pris pour fil conducteur la notion de hub, lieu de passage. Cette notion est entendue dans un sens urbain en relation notamment avec Berlin, mais aussi d’autres lieux.

Commençons par la présentation qui occupe un étage du Martin Gropius Bau.

Un panneau à l’entrée rappelle l’histoire de cet édifice qui se trouvait exactement à côté du mur. Un film est projeté dans chacun des escaliers du bâtiment. En entrant on découvre une série de vidéos sur les migrations, réflexions sur des éléments d’actualité par Hito Steyer. Ensuite ce sont les panneaux de polyuréthane gravé de Piotr Nathan qui occupent une grande salle. Il s’agit de bas-reliefs muraux impressionnants, on apprend dans le catalogue que le dessin de base méconnaissable qui anime ces panneaux vient d’images de magazines pornographiques. Une vidéo sur 3 écrans d’Isaac Julien, Baltimore 03 tournée dans 3 musées de cette ville évoque la condition des noirs. Les photographies de Thomas Struth montrent différents quartiers de Berlin. Les conditions de vie urbaines et les transformations de la ville sont évoquées par les travaux d’Ulrike Ottinger et de David Lamelas. Une réalisation interactive de Nomeda et Gedumnias Urbonas relève du monde sonore. Des mannequins suggèrent la scène et la mode. Les photographies Ryuji Miyamoto montrent les maisons en carton des clochards japonais; alors que Stephen Willats rappelle les rapports de voisinage dans un immeuble. Willie Doherty présente des vues nocturnes dont on sait qu’elles viennent d’Irlande. Melik Ohanian a filmé les docks de Liverpool. Un travail est consacré à la restauration d’un bibliothèque d’Alvaar Aalto en Finlande. On peut encore noter les peintures de Karin Mamma Anderson et les films de Mark Lewis pour mentionner qu’en plus des thèmes qui structurent l’exposition on observe une prédilection pour des vues larges, en grand angle ou carrément panoramiques.

Au KW

Au KW les édicules en bois qui abritent différents films du rez-de-chausée sont conçus par Bert Neumann. L’exposition se déroule sur 4 étages, le dernier est consacré aux groupes de recherches sonores, pour les autres on distingue en particulier la place faite à la mode avec Regina Möller et à la critique sociale avec Fernando Bryce.

Très cohérente dans la partie du Martin Gropius Bau, plus éclatée avec des travaux plus irréguliers au KW cette biennale de dimension modeste permet de découvrir des démarches intéressantes et assez peu vues avec des ouvertures vers le nord de l’Europe notamment.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 1er mars 2004


On assiste à une multiplication étourdissante des manifestations qui portent le titre de Biennale. C’est sans doute un moyen eficace d’attirer l’attention locale et internationale sur une exposition collective d’art contemporain. Contrairement aux grandes biennales comme Venise qui présentent des sélections cractéristiques de la création des pays respectifs d’une part et les choix d’un ou plusieurs commissaires invités d’autre part, la nouvelle génération des biennales tend à revendiquer l’insertion dans le lieu où elles se déroulent. Cela peut s’exprimer par le thème choisi dans la sélection des oeuvres. C’était le cas à Berlin en 2004 avec la notion de hub. Cela peut aussi se manifester en invitant des artistes à résider dans une ville, à y travailler avant de montrer dans le cadre de la Biennale le résultat de cette « immersion ». C’est le cas de la Biennale de Liverpool (2004) et c’est aussi l’ambition de la Biennale d’Istamboul (2005).


Biennale de Liverpool jusqu’au 24 novembre 2002 (il y a des dates différentes pour les diverses sections)

Liverpool fut la deuxième ville de l’empire britannique. Elle comptait plus d’un million d’habitants avant la Seconde guerre mondiale contre un peu moins de 500’000 aujourd’hui. Elle fait partie de ces villes d’empires comme Bruxelles ou Vienne qui semblent vivre dans des habits devenus trop grands. Elle compte de nombreux bâtiments abandonnés en plus ou moins bon état, plus ou moins proches de la ruine. De tels espaces attirent forcément les artistes et depuis que l’on a établi que ces implantations artistiques offrent une stratégie de reconquête des espaces urbains très efficace, les autorités partout dans le monde adoptent ce type de démarche. Ainsi la Tate a-t-elle ouvert il y a quelques années une importante succursale dans le quartier complètement reconstruit des docks de Liverpool. Puis est venue l’idée d’une biennale internationale artistique. La première édition eut lieu en 1999. Le cœur de l’exposition se trouvait dans un immense bâtiment administratif abandonné du début du XXe siècle qui créait une atmosphère très particulière.

International jusqu’au 24 novembre

Cette année pour la deuxième édition, la section internationale de la Biennale investit des bâtiments plus institutionnels : La Tate Liverpool, le centre culturel Bluecoats et une école abandonnée. Plusieurs pièces sont installées dans des lieux publics : gare, monuments, places. La biennale de Liverpool ne se limite pas à la section internationale, il existe trois autres manifestations qui proposent un regard sur la production artistique actuelle au Royaume Uni.

John Moores 22 jusqu’au 8 décembre

Le prix John Moores 22 est un concours artistique exclusivement consacré à la peinture, une exposition dans les nouvelles salles du magnifique musée (il fait partie de l’Acropole culturelle qui date des temps glorieux de la ville) qui s’appelle maintenant Walker – national gallery of the North présente une trentaine d’artistes parmi les 5’000 candidatures reçues.

Bloomberg newcontemporaries 2002 jusqu’au 27 octobre

Bloomberg newcontemporaries 2002 présente 35 artistes récemment sortis d’une école d’art du Royaume-Uni sélectionnés parmi 1’200 candidats.

The Independent jusqu’au 8 décembre

Enfin la quatrième manifestation, la plus importante par le nombre d’espaces investis, s’intitule The Independent. On semble avoir procédé à un inventaire systématique des espaces disponibles et proches de la ruine dans la ville, une vingtaine ont été retenus comme lieux d’exposition. Cela va d’une section importante et inoccupée du marché couvert à une église abandonnée en passant par d’innombrables dépôts, mais aussi quelques jolies maisons. A chaque fois un ou plusieurs curateurs ont réuni des artistes autour d’un thème, d’une problématique précise.

International 2002

La section principale de la biennale de Liverpool est vraiment internationale puisqu’elle ne comprend aucun britannique. 28 artistes ont été sélectionnés (une douzaine sont nord-américains, 3 japonais, les autres viennent du continent européen, d’Amérique du sud, etc.). La plupart ont réalisé des oeuvres commandées pour cette manifestation. Ils s’expriment dans de vastes espaces, soit par la vidéo, soit par de grandes installations. Les travaux choisis sont moins radicaux que ne le laisse entendre l’introduction du catalogue. On trouve des réalisations sur les constructions imaginaires, le paysage, les artefacts, des réflexions sur la publicité et l’image au quotidien. Jason Rhoades propose the Liver Pool, une piscine gonflable en forme de foie qui affirme évoquer la fabrique familiale de PeaRoeFoam. Dominique Gonzalez-Foerster recrée la vision du monde d’une petite fille (son site). Christine Hill développe un travail présenté à la Documenta X, The Volksboutique Accounting Archive. Francesco Vezzoli recrée des drames cinématographiques en opposant sur deux écrans des scènes dramatiques. 3 films de Clare Langan plongent le spectateur dans des paysages imaginaires flamboyants, alors que Mark Lewis nous invite à contempler un lac canadien. Olaf Breuning crée une installation nocturne et funèbre et Robert Wogan entraîne le visiteur dans un labyrinthe. Chloe Piene associe de grands dessins anatomiques avec une vidéo qui montre des danseurs très violents.

Avec ces quatre sections la Biennale déploie un véritable foisonnement artistique, une occupation systématique du terrain diront certains, dans cette ville qui devient un lieu d’attraction incontournable pour toutes les personnes actives dans le domaine culturel à l’intérieur du Royaume-Uni.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 26 septembre 2002