Reconstitution d’expositions

Berne 6 août 2018

La Kunsthalle de Berne rend hommage à Harald Szeemann jusqu’au 2 septembre en évoquant par des films et des documents les principales expositions dans lesquels il a été impliqué. Elle permet aussi de cerner une personnalité et son mode de travail. Sous le titre Musée des obsessions. Il avait constitué des archives personnelles considérables et recueilli au début de son activité, la quasi totalité des objets réunis dans l’appartement de son grand-père qui était coiffeur, une présentation séparée de cet ensemble est proposée dans l’ancien appartement de Harald Szeemann.

Milan 20 mai 2018

Fondation Prada: Art Life Politics: Italia 1918 – 1943 jusqu’au 25 juin

Ouverte depuis quelques années dans un vaste site industriel, proche des voies de chemin de fer, près de la station Lodi de la ligne jaune du métro milanais, subtilement transformé en associant des édifices nouveaux et les bâtiments anciens transformés, tout en conservant la sensation d’ampleur du site, la Fondation Prada propose des expositions temporaires et des éléments de sa collection consacrée à des installations d’artistes bien connus de la scène contemporaine ( Louise Bourgeois, Robert Gober, Damien Hirs, Jeff Koons, etc.).

En ce moment, elle produit une gigantesque exposition conçue par Germano Celant (1940 – décédé en 2020 du Coronavirus), consacrée à l’art italien de l’entre-deux-guerres. Loin d’effectuer une sélection entre artistes ayant collaboré avec le régime et ceux qui étaient plus en retrait, elle présente une série de reconstitutions d’expositions d’art italien dans le pays et à l’étranger. Depuis les artistes présentés à la Biennale de Venise, l’exposition des arts décoratifs  de 1925 à Paris, les développements de l’architecture, les monuments aux morts, le mobilier, des expositions à Rome, à Pittsburg ou à la Kunsthalle de Berne. L’idée étant de reconstituer certaines cimaises de ces manifestations d’après des photographies d’époque avec les oeuvres originales lorsqu’elles sont disponibles ou des reproductions. L’entreprise est énorme et il faut le dire assez lassante, d’autant plus que les oeuvres sont en général très sombres.


Bâle – Riehen 6 octobre 2015

La Fondation Beyeler a décidé de marquer le centenaire du carré noir de Kasimir Malewitsch par une double exposition. La première au titre énigmatique A la recherche de 0.10, la dernière exposition futuriste de peinture tente de reconstituer le plus précisément possible, la manifestation dans laquelle Malewitsch présenta pour la première fois une œuvre devenue emblématique du 20ème siècle. Confrontée au style cubo-futuriste des 13 autres participants, la démarche de Malewitsch ressort dans toute sa radicalité ! La seconde basée sur la collection de la fondaion et d’autres collections, évoque sous le titre Soleil noir, l’influence de Malewitsch sur l’art des générations suivantes. Les deux sont à découvrir jusqu’au 10 janvier.


Décembre 2013, réflexion sur la reconstitution d’expositions.

La reconstitution des expositions devient une véritable tendance ou un courant. Sans aller jusqu’au travail 1 :1 réalisé à Venise pour When Attitudes Becomes Form Bern 1969/ Venice 2013,

la présentation de Beaubourg consacrée à l’objet surréaliste évoque 5 des 8 expositions surréalistes par des projections de diapositives et par la reconstitution partielle de certaines salles ou vitrines.

C’est encore à une réflexion sur les grandes expositions et leur impact que nous invite la cité de l’architecture et du patrimoine avec 1925 quand l’art déco séduit le monde jusqu’au 17 février 2014. Centrée sur l’exposition de 1925 à Paris, elle montre des plans et des photographies des divers pavillons. Elle insiste sur le rôle des grands magasins dans la création d’une production spécifique, plus industrielle qu’artisanale comme c’était le cas avec l’art nouveau. Ce n’est pas le mouvement, le style qui sont montrés, mais vraiment l’exposition de 1925 dans un premier espace. Dans un second espace, on évoque l’impact de l’exposition de 1925 et la diffusion d’un style à travers le monde de Tokyo au Vietnam, à l’Afrique du Nord. On souligne aussi le rôle du paquebot Normandie comme promoteur de ce style.


Au Musée Guimet, l’exposition Angkor est aussi avant tout une histoire de la découverte du site et de sa mise en valeur muséographique à Paris. Angkor : Naissance d’un mythe Louis Delaporte et le Cambodge jusqu’au 27 janvier 2014.

En effet, elle raconte comment Louis Delaporte fit des relevés, montre ses splendides aquarelles, et des moulages de certaines parties de sites. Il obtint peu à peu des lieux d’expositions d’abord dans l’indifférence, avant que l’on ne s’intéresse vraiment au site. Ces moulages qui avaient été entreposés dans des caisses commencent à faire l’objet de restaurations et certains sont présentés ici.


On peut encore mentionner Matisse et les Fauves, à l’Albertina à Vienne jusqu’au 12 janvier 2014. Sans être une reconstituton du salon d’automne de 1905, l’exposition s’efforce de réunir avant tout des oeuvres produites entre 1905 et 1908. Elle évoque la plupart des créateurs réunis en 1905. Patrick Schaefer L’art en jeu 18 décembre 2013.


Venise 6 octobre 2013

Fondazione Prada. When Attitudes Become Form Bern 1969 / Venice 2013 jusqu’au 3 novembre 2013.

Huit ans après son brusque décès, Harald Szeemann revient à Venise dont il a dirigé la Biennale en 1999 et 2001.

La Fondation Prada propose une reconstitution de l’exposition réalisée en 1969 à la Kunsthale de Berne. Une entreprise qui est à la fois très étrange et fascinante. Pourquoi, comment retrouver les espaces de la Kunsthalle dans un palais baroque vénitien, Ca’ Corner della Regina, sur les bords du Grand Canal? Une tentative folle dans ce gigantesque palais vénitien dont les murs sont couverts de stucs et de fresques de reconstituer cette exposition avec la force de provocation toujours intacte des oeuvres. Il faut dire que l’exposition est basée sur un dialogue entre trois figures éminentes: le commissaire d’exposition Germano Celant, l’architecte qui développe des réflexions vigoureuses sur les musées, Rem Koolhaas et le photographe, spécialisé dans les reconstitutions, Thomas Demand.

Depuis quelques années on voit se multiplier les expositions qui redécouvrent les années 1960, en particulier l’arte povera. Cette reconstitution appartient à la même approche.

Ce qui m’a le plus frappé c’est l’utilisation du sol plutôt que des murs. Ce qui pose d’énormes problèmes. La fréquentation est limitée à 200 personnes et 10 au dernier étage. Lorsque j’ai visité, il n’y avait qu’un petit groupe d’une vingtaine de personnes, mais la circulation était déjà difficile. Il y a un réel souci de reconstitution archéologique avec les oeuvres provocatrices d’artistes qui pour la plupart ont fait leur chemin et sont devenus des stars de l’art moderne. 148 oeuvres d’artistes presque tous bien connus aujourd’hui: Joseph Beuys, Bruce Naumann, Jannis Kounellis, Mario Merz, Richard Serra, par exemple. Les Suisses de l’étape étaient Markus Raetz et Aldo Walker.

L’exposition documente les débuts de l’activité de Harald Szeemann et la violence de l’impact de cette exposition qui dut être fermée prématurément.

Patrick Schaefer, l’art en jeu 7 octobre 2013


Biennale de Venise. Plateau de l’humanité jusqu’au 4 novembre 2001. Ce texte est transféré sur la nouvelle version du site : http://wp.me/p5k6Rq-qC

Les archives de Harald Szeemann ont été acquises par le Getty Institute à Los Angeles en juin 2011.

Harald Szeemann est décédé le 18 février 2005, il était né en 1933.

La dernière exposition conçue par Szeemann est visible au Palais des beaux-arts à Bruxelles jusqu’au 15 mai 2005. Elle s’intitule Belgique visionnaire, C’est arrivé près de chez nous organisée pour marquer le 175ème anniversaire du pays; (on sait qu’il a consacré des expositions à la Suisse (1992), à l’Autriche (1998) et à la Pologne (2001) sur le même thème).

Un autre sur l’exposition Marcel Duchamp au musée Tinguely en 2002


Biennale de Venise 10 juin – 4 novembre 2001

La scène de l’art contemporain sera à nouveau marquée par la Biennale de Venise dirigée pour la seconde fois par Harald Szeemann.

Pour celui qui veut préparer sa visite à la Biennale de Venise la lecture du petit opuscule de Nathalie Heinich s’impose :

Nathalie Heinich, Harald Szeemann, un cas singulier, entretien, L’Echoppe, Paris 1995.

Dans ses ouvrages la sociologue s’attache à décrire la manière dont s’affirme le statut de créateur, d’auteur, d’artiste dans la société. Elle a publié cette interview , dans laquelle le commissaire d’exposition évoque les différentes étapes de sa carrière, sa manière de structurer son travail, ses relations avec les institutions qui l’invitent à organiser des expositions. L’entretien est suivi de commentaires de Nathalie Heinich, qui ne montre pas les qualités ou les défauts des expositions de Harald Szeemann, mais relève comment cette carrière est emblématique de l’apparition d’une nouvelle catégorie professionnelle : le commissaire indépendant, créateur et auteur d’expositions.

La notion de Gesamtkunstwerk hante Harald Szeemann depuis très longtemps (Der Hang zum Gesamtkunstwerk, Europäische Utopien seit 1800, Zurich, Kunsthaus, 1983) et c’est sous cette bannière qu’il place la prochaine Biennale de Venise. Il s’agit d’une notion pour le moins ambiguë, dont le sens a beaucoup évolué. Il faut la situer face aux notions d’hybridation, de passage d’une technique et d’un domaine d’expression à l’autre qui marquent la scène artistique actuelle.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, février 2001.


Vous trouverez également un article sur la contribution d’Harald Szeemann

Argent et valeur – Le dernier tabou à l’expo.02.

Expo.02

Quelques remarques sur l’arteplage de Bienne.

Préambule

Je tiens à préciser que je ne fais pas partie de ceux qui font la moue lorsque l’on parle d’Expo.02 parce qu’elle a coûté trop cher. Il est vrai que si l’on songe aux sommes habituellement allouées au domaine culturel, l’argent englouti dans cette manifestation paraît relever du délire, par contre on peut aussi considérer que cela ne représente même pas le coût des quelques kilomètres d’autoroute inaugurés peu avant l’expo. Tout est relatif. Il est aussi vrai que lorsque l’on assiste régulièrement à des concerts, représentations théâtrales ou que l’on visite des expositions, on doit constater que c’est une partie très restreinte de la population qui est touchée par ces événements culturels, pourtant abondamment subventionnés et qu’il peut être bon de tenter de toucher d’autres publics, d’une autre façon. Ce préambule pour signaler que je ne suis donc pas à priori opposé à l’expérience développée par cette exposition nationale, qu’elle me semble plutôt légitime et que ceux qui trouvent qu’elle a coûté trop cher m’agacent.

Cela dit nous assistons à un véritable matraquage médiatique qui s’apparente plus à des pratiques de communication en temps de guerre qu’à une approche libre de l’information dans un pays démocratique. Là aussi c’est agaçant et l’on serait tenté de n’en rien dire pour cette raison.

Comme l’art n’est pas au centre de cette Expo.02 et que je me limite en principe à rendre compte des expositions d’art, je vais commenter la seule exposition d’art présentée sur l’arteplage de Bienne avec quelques remarques sur d’autres pavillons rapidement parcourus!

Argent et valeur – Le dernier tabou

Le pavillon de la Banque nationale suisse a été confié à Harald Szeemann. C’est le seul endroit sur l’arteplage de Bienne où des artistes et des œuvres d’art sont exposés comme tel. Si cette exposition était présentée dans un musée d’art, elle ferait grand bruit, attirerait beaucoup de monde et susciterait d’innombrables articles. Le moins que l’on puisse dire c’est que l’on n’en a pas beaucoup entendu parler pour l’instant à l’exception d’un conflit à propos d’une citation de Jean Ziegler (ce qui est très drôle si l’on considère le nombre de provocations accumulées dans cet espace). Or il s’agit d’une exposition monumentale sur la notion de valeur et d’argent dans l’art et dans les sociétés qui forment notre monde, réalisée avec un budget colossal (une fiche assez ambiguë distribuée à la fin de l’exposition nous apprend que l’engagement du commanditaire s’élève à 15 millions de francs suisses).

Les travaux de plus de cinquante artistes sous la forme d’installations, de vidéos, sculptures, collages et photographies sont exposés dans une mise en scène intéressante qui se déploie sur deux étages dans de gigantesques vitrines et sur les parois couvertes d’un papier peint créé pour l’occasion. Par ailleurs l’exposition documente les formes prises par la monnaie à travers le temps et l’espace, présente un destructeur de billets et un salon de machines à sous. Au niveau des travaux artistiques on distingue ceux qui critiquent l’argent et ce qu’il véhicule comme Piero Manzoni et ses merdes d’artistes ou Yukinori Yanagi qui a réalisé des images des monnaies européennes progressivement détruites par le passage de fourmis comme il l’avait fait avec les drapeaux à la Biennale de Venise en 1993. Et ceux qui tentent de définir des visions utopiques comme Rudolf Steiner, Josef Beuys, le Facteur Cheval, Tatline ou Henri Dunant. Un thème cher au commissaire de l’exposition, Harald Szeemann, qui retrouve ici des éléments proposés, il y a déjà quelques années dans l’exposition Visionäre Schweiz.

Aucun musée au monde ne se permettrait de livrer cette exposition tel quel au public. Il y aurait des fiches d’information expliquant les diverses sections de l’exposition, son déroulement, des renseignements sur les artistes, un dépliant, un catalogue, ici il n’y a absolument rien. Il existe toutefois un bureau d’information et il est possible de demander une visite commentée. Tout spectateur peu informé sera très désorienté, voire choqué par cette exposition. Il faut dire que l’abondance noie un peu les éléments, que l’éclairage est très faible et qu’il a été fait un usage systématique des dessus de porte pour cacher les pièces qui pourraient heurter les visiteurs! L’Expo.02 renforce ainsi la vision élitiste de l’art, elle ne communique absolument rien au niveau de la découverte, de la motivation à comprendre les formes d’expression et la spécificité du langage artistique.

Les pavillons déclinent sensations et expériences

En employant des agences de communication et de design qui ne font que fabriquer des produits dérivés (souvent inspirés par des recherches d’artistes) soit-disant accessibles et destinés au grand public, l’Expo produit des pavillons assez sensationnels certes, (Swish qui permet de projeter sur l’eau des vœux écrits sur un ordinateur est une variation technologique de la bouteille à la mer tout à fait intéressante par exemple et Cyberhelvetia propose une quantité d’expériences planantes), mais qui semblent tous passés par le même moule, une sorte de lavage de cerveau pour être prétendûment accessibles. On assiste à un inventaire de sensations et d’expériences : glisser, sauter, plonger dans des registres différents, burlesques, envoûtants, etc. Le modèle général semble être celui du train fantôme et les pavillons forment une série de déclinaisons autour de ce thème. Le résultat étant qu’ils ne sont que peu compréhensibles, qu’ils ne communiquent rien et que l’on n’en retient que le petit gag qui provoque une distraction ou une sensation forte : chariot, toboggan, matelas-trampoline, etc.

Il faudra voir les effets de cette Expo. 02 dans la durée, mais il me semble qu’ils sont déjà assez inquiétants pour les artistes. Cela a commencé avec les attaques minables contre Pipilotti Rist dans le spectacle d’ouverture et j’ai déjà lu ou entendu des commentaires qui s’en prenaient au caractère incompréhensible, donc bien entendu artistique de l’Expo! Or rien n’est plus faux, cette Expo.02 n’a absolument rien à voir avec ce qui se fait dans le domaine artistique. Elle ne propose que des dérivés. Pour voir ce que font les artistes aujourd’hui, souvent beaucoup plus clairs et maîtrisés dans l’élaboration de leur langage, il faut aller dans les musées, les Kunsthalle ou par exemple à la Documenta de Kassel.

Ce qui est très gênant, voire inquiétant, c’est le rejet de la diversité, la volonté de tout soumettre à un seul schéma, un seul cadre à l’intérieur duquel on égrène quelques variations. On constate le refus explicite de laisser divers registres d’expression apparaître, tout n’est que communication et design. La couleur grise qui domine sur l’arteplage de Bienne est à cet égard très révélatrice. Les trois tours en tissu sont grises, la plupart des pavillons et les grandes passerelles métalliques sont grises, de même que les grands sacs en plastique dans lesquels on a placé des arbres. Un gris unitaire, un gris « design-mode-branché », un gris uniforme.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 14 juin 2002