Fondation Maeght

La Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence fête son quarantième anniversaire. Cette institution qui fut sans doute l’une des premières, si ce n’est la première à miser sur le tourisme culturel estival marque l’événement par une exposition sur les livres d’artistes: De l’écriture à la peinture. C’est l’occasion de revenir sur l’histoire des Maeght.

L’aventure des Maeght, trois générations d’éditeurs d’art

L’importance de l’édition d’art dans le développement de l’art moderne ne saurait être trop soulignée. Dès 1895 Ambroise Vollard commanda des estampes aux artistes qu’il défendait; il fut le véritable créateur du livre d’artiste en publiant Parallèlement de Verlaine, puis Daphnis et Chloé de Longus tous deux illustrés par Pierre Bonnard. Dans ses souvenirs Vollard a malicieusement raconté ses déboires avec les bibliophiles qui considéraient que l’illustration d’un ouvrage ne pouvait être faite par des peintres:

« Comme je disais à un amateur de Maurice Denis:

– Avez-vous dans votre bibliothèque l’Imitation de Jésus-Christ et Sagesse? ( livres édités par Vollard)

Celui-ci, vivement:

– Je suis des Cent bibliophiles et, là, nous respectons encore les règles. Les peintres ne sont pas des illustrateurs. Les libertés qu’ils se permettent sont incompatibles avec ce « fini » qui fait le mérite d’un livre illustré ». ( Ambroise Vollard, Souvenirs d’un marchand de tableaux, Albin Michel 1937, éd. 1984 p. 285).

Le prestige du livre illustré par les artistes connut un essor extraordinaire avec le surréalisme qui se caractérise par une imbrication complète entre les démarches littéraires, poétiques et plastiques et qui refuse la séparation entre les diverses formes d’expression artistique; le livre jouit alors d’un immense prestige et c’est Albert Skira qui avec sa revue Minotaure et ses livres illustrés par Picasso, Derain, Matisse ou Dali sut créer un lien étroit entre la création contemporaine et l’édition.

Après la guerre ce fut au tour des Maeght de suivre cet exemple, le rappel de ces exemples antérieurs est d’autant plus justifié qu’il y eut sans doute une stimulation directe de la part de Pierre Bonnard, mais aussi d’autres artistes proches des surréalistes dans l’importance accordée à l’édition d’art par Aimé Maeght. Il faut souligner qu’Aimé Maeght n’est pas le seul marchand à fréquenter Pierre Bonnard, Henri Matisse ou Alberto Giacometti, mais à travers une double activité de marchand et d’éditeur d’art, il a pris une place exceptionnelle, prestigieuse qui va encore s’accroître avec la création d’un espace – musée à Saint Paul de Vence en 1964. Il apparaît ainsi comme un homme qui a su donner un prestige et un statut exceptionnels au métier de marchand d’art.

Les débuts 1906 – 1942

La famille d’Aimé Maeght (1906 – 1981) est originaire des environs de Lille. Le père du futur éditeur est tué pendant la Première guerre mondiale, sa mère se réfugie à Lasalle dans le Gard. Aimé suit les écoles de Nîmes. Il devient graveur-lithographe en 1925 après avoir étudié à l’École des Arts et Métiers de cette ville. Passionné par le jazz, il joue dans de petits orchestres. En 1926, il va travailler à Cannes, il est brillant dans son métier et rencontre bientôt Marguerite Devaye (1909 – 1977) qu’il épouse en 1928; elle appartient à une famille de commerçants cannois. Leur fils Adrien naît en 1930. Aimé étant un bricoleur très doué, passionné par la T.S.F., Marguerite ouvre en 1932 un magasin de radio à quelques pas de la Croisette, qu’elle orne de meubles, peu à peu des tableaux sont également mis en vente. Aimé répare les appareils de radio tout en poursuivant son travail de lithographe, il réalise également des travaux publicitaires. En 1936, il rencontre pour la première fois celui qui jouera un très grand rôle dans son essor: Pierre Bonnard. Il réalise une lithographie pour le maître du Cannet. Des peintres secondaires sont exposés dans le magasin qui prend bientôt le nom de Galerie Arte. Avec la guerre le commerce d’art prend de plus en plus d’importance, les réfugiés fortunés installés dans la ville ne renoncent pas à leur passion de collectionneurs, d’autres personnes en difficulté cherchent à se défaire des oeuvres en leur possession. Aimé se lie à quelques spécialistes importants comme Philippe Erlanger qui réalisa d’importantes expositions temporaires à Paris avant et après la guerre en tant que responsable de l’Association française d’action artistique, Gustave Zumsteg industriel zurichois propriétaire de la célèbre Kronenhalle de Zurich est également un habitué ( Gall op. cit. pp. 26-27). L’année 1942 devait se révéler décisive, Pierre Bonnard perd sa femme, les Maeght auront l’occasion de l’aider, de lui fournir des couleurs, des toiles de s’occuper de sa vie quotidienne et bientôt de vendre ses oeuvres. L’amitié de Bonnard les conduit également à Matisse dont ils deviennent très proches. En 1942, naît leur second fils Bernard.

Marchand et éditeur d’art

En 1944, Aimé Maeght décide de créer une revue qui s’intitule Pierre à Feu et sera dirigée par Jacques Kober  » Mettre en place, immédiatement, un complément culturel magnifiant son rôle de vendeur de tableaux, tel était son but. » ( Gall op. cit. p.50)

Après la guerre Aimé Maeght accompagne Bonnard à Paris. Il s’installe bientôt rue de Téhéran dans une galerie qui lui est cédée par André Schoeller. C’est le début d’une aventure étonnante qui sera couronnée dix-neuf ans plus tard par l’ouverture de la Fondation Maeght à Saint-Paul-de-Vence.

Maeght expose Matisse, Braque et la seconde exposition surréaliste en 1947 organisée par André Breton et Marcel Duchamp. Dès 1948, Miro se lie à la galerie dont il deviendra l’un des principaux artistes, en 1950 ce seront Chagall, Calder, en 1951 Kandinsky et Alberto Giacometti. La plupart des expositions individuelles sont des échecs, mais Aimé Maeght gagne beaucoup d’argent avec quelques ventes de tableaux d’artistes connus. Dès le départ il s’intéresse à l’édition; après la revuePierre à feu ce sont ses catalogues Derrière le miroir qui vont accompagner chaque exposition d’une plaquette prestigieuse, à ce propos François Chapon écrit: « Aimé Maeght et ses collaborateurs, en maintenant « Derrière le miroir » plus d’un quart de siècle au centre de leur entreprise ont prouvé de manière permanente que l’art plastique n’est jamais mieux mis en valeur qu’au voisinage de l’écriture qui le « nomme ». Dans le contexte rapide d’une exposition provisoire l’essentiel doit être aussitôt proposé au spectateur. Ce n’est pas le lieu d’un dossier de l’érudition ni d’une analyse méthodique: c’est l’heure où se découvre une oeuvre à la fois dans sa complexité et dans la contraction qui la résout. Elle doit alors manifester sa réalité de concept, l’autonomie qu’y suggère sa définition. Au poète, à son pouvoir d’abstraction et de synthèse, à son expérience vécue sur les ondes d’une autre médiation, appartient par excellence le don de faire affleurer cette existence jusqu’à l’instantané de la parole ». (p. 14 et 17, dans A proximité des poètes et des peintres 1986). Des livres illustrés par les artistes de la galerie sont également publiés. La vie d’Aimé Maeght se rapproche de la chronique des expositions organisées par la galerie. Les éditions jouent dès le début un grand rôle et connaissent un essor impressionnant. En effet les années 1950 voient se développer le goût de l’estampe, l’édition de lithographies et de gravures sur cuivre devient l’une des principales activités de la maison. En 1961, Aimé Maeght ouvre ses propres ateliers rue Levallois pour répondre au développement de cette activité. Il refuse de se cantonner à une seule tendance et s’ouvre aux divers courants de l’art moderne. A côté des artistes les plus connus, exposent d’autres créateurs moins célèbres, certains demeurent peu connus à ce jour, alors qu’un certain nombre ont trouvé une large réputation, citons Bram et Geer van Velde, Alechinsky, Rebeyrolle, Adami, Tapiès, Chillida et tant d’autres dont les recherches sont relatées dans les 250 numéros de Derrière le miroir, les nombreuses monographies et les innombrables estampes éditées par la galerie.

La Fondation Marguerite et Aimé Maeght

La création de la Fondation marque l’aboutissement de vingt ans d’une irrésistible ascension qui coïncide avec la reconstruction de l’Europe et l’essor économique de l’Après-Guerre.

L’idée d’une Fondation serait née dix ans plus tôt après la mort du second fils des Maeght, Bernard, fauché par une leucémie en 1953. Aimé Maeght passionné d’édition avait sans doute une conscience particulière de l’importance pour le développement du marché de l’art d’une présentation avantageuse, valorisante pour les oeuvres des artistes, insatisfait du rôle joué par les musées traditionnels, il conçut avec la collaboration des artistes qui lui étaient les plus proches cette idée originale d’un musée privé et vivant consacré à l’art moderne. Il eut également le pressentiment du développement des loisirs culturels pendant les vacances: « Pourquoi ce musée à neuf cents kilomètres de Paris? Parce que M. Maeght ne croit plus à l’avenir des galeries de peinture. Pas plus qu’à celui des musées parisiens qui sont saturés et dans la quasi impossibilité de résoudre convenablement les problèmes de muséographie. Sur la Côte d’Azur, un immense public circule l’été, un public qui a le temps de visiter une exposition calmement, comme il faut » (Connaissance des Arts avril 1963 pp. 107-112  » Architecture pour un musée » ). La Fondation de Saint-Paul- de-Vence s’inscrit comme une consécration et comme une façon particulièrement remarquable de concrétiser les amitiés nouées avec les grands artistes du siècle, en leur donnant un lieu qui s’apparente à la typologie du musée, mais qui est géré par des privés. Braque, Miro, Giacometti (qui avait autorisé le tirage d’un exemplaire de chacune de ses sculptures pour la Fondation), Chagall, Kandinsky sont mis en valeur dans un espace exceptionnel qui reste en contact avec l’art vivant. L’originalité de la galerie avait été d’organiser des expositions susceptibles d’attirer un large public sans en espérer des ventes immédiates, ainsi l’exposition surréaliste de 1947 organisée par Breton et Duchamp. La Fondation va donner une réputation de plus en plus large aux Maeght, elle leur assure de plus la sympathie et le soutien des artistes. Pour la construction Aimé Maeght s’adresse à un ami de Miro, l’architecte Josep Lluis Sert qui avait réalisé le pavillon de la République espagnole à Paris en 1937 en étroite collaboration avec les artistes pour y exposer le Guernica de Picasso et des oeuvres de Miro, Calder, Gonzalez et Giacometti. C’est dans le même souci de collaboration qu’il travailla à Saint-Paul avec en plus le souci de donner un caractère non monumental, proche d’un village provençal à l’ensemble. Il édifiera quelques années plus tard la Fondation Miro à Barcelone.

En 1966, le bilan est déjà positif, Aimé Maeght cherche à obtenir la création d’un théâtre ce qui lui sera refusé ( Connaissance des Arts Novembre 1966 pp. 27-29 « Un théâtre à Saint Paul de Vence »). La Fondation reçoit alors 60000 visiteurs par année:  » Quel instrument souhaitez-vous que devienne votre Fondation? – D’abord j’ai voulu prouver qu’un musée bien géré pouvait vivre. Maintenant je veux prouver qu’il y a des possibilités en France pour le mécénat collectif. Les chiffres sont là: Grâce aux entrées (4F., demi-tarif pour les étudiants et groupes culturels), grâce à la vente de livres et d’estampes, grâce aux appareils à sous qui distribuent des cartes postales toutes timbrées – ça amuse les visiteurs, ils sont contents de dire qu’ils ont vu le musée Maeght, ils font une excellente publicité pour le musée- les bénéfices atteignent 70’000 F. ». En 1982, André Chastel écrit:  » L’Esprit de la Fondation est à la même distance du Musée que l’initiative privée des organismes d’État. On ne dira pas que la Fondation de Saint-Paul est une sorte d’anti-Centre Georges Pompidou. Mais c’est l’autre face, moins programmée, de la modernité. L’enveloppe n’a pas précédé l’aventure; elle est l’expression même d’une entreprise très risquée qui a étonné, inquiété, avant d’être admise et aujourd’hui célébrée ».(p.23-24, dans L’univers d’Aimé et Marguerite Maeght 1982).

Parallèlement la galerie poursuit son activité avec l’ouverture d’une succursale à Zurich en 1970, puis à Barcelone en 1974. De 1968 à 1975, Maeght publia la revue Chronique de l’art vivant dirigée par Jean Clair, parallèlement paraissait depuis 1967 une revue poétique Éphémère à laquelle succède en 1974 Argile publiée jusqu’en 1981.

Marguerite Maeght disparaît en 1977 et son époux la suit en 1981.

La succession

Adrien Maeght fut très tôt associé aux activités de la galerie, dès 1950 il s’occupe plus particulièrement des éditions, en 1957, il crée sa propre galerie, mais rejoint son père quelques années plus tard. En 1964, il rachète une imprimerie qui sera dès l’année suivante associée à celle de son père sous le nom d’imprimerie Arte. En plus de son activité d’éditeur et de marchand, il voue une grande passion à l’automobile qui l’amène à fonder un musée de l’automobile à Mougins en 1985.

Adrien a quatre enfants qui ont tous des activités liées à la galerie et à l’édition. L’aînée Isabelle s’occupe de la gestion des collections et des prêts, Françoise dirige la galerie Maeght à la rue Saint-Merry, Julien s’occupe de l’imprimerie Arte, alors que Florence dirige les éditions pour enfants.

Aimé Maeght avait créé une société Maeght SA à laquelle il avait associé ses directeurs, après sa mort, Maeght SA devint Lelong SA tout en conservant le droit de s’appeler Maeght-Lelong jusqu’en 1987. Aujourd’hui les galeries Lelong ( Paris, New York, Zurich) représentent une partie des principaux artistes qui ont exposé chez Aimé Maeght.

Références bibliographiques

Cet article de Patrick Schaefer intitulé « L’aventure des Maeght, trois générations d’éditeurs d’art » est paru dans le catalogue: Les Maeght, Trois générations d’éditeurs d’art. EXPUL 93, Pully, 1993, pp. 13-22.

Anne et Michel Gall, Maeght le Magnifique, une biographie, Paris 1992, Christian de Bartillat éditeur.

Michel Enrici, A proximité des peintres et des poètes. Quarante ans d’éditions Maeght. Adrien Maeght, éditeur 1986.( François Chapon, Aimé Maeght, homme du livre. Michel Enrici, Profession: éditeur. La permission de lire. Claude Lefebvre du Prey Documents, Chronologie. Catalogue).

L’Univers d’Aimé et Marguerite Maeght, catalogue de la Fondation Maeght 1982. (Sommaire: Introduction de Jean-Louis Prat, Aimé et Marguerite Maeght. principaux repère biographiques, Préface André Chastel, La Galerie Maeght, Paris, Zurich, Barcelone, New York, Catalogue des artistes, Notes sur trente-six ans d’édition, L’Ephémère, Argile et ses compagnons, Chroniques de l’art vivant, Maeght producteur de films, La Fondation Marguerite et Aimé Maeght, Les nuits de la Fondation, Liste des oeuvres exposées. Propose encore une liste des numéros de Derrière le miroir).

Aimé Maeght et les siens, Catalogue d’une exposition au centre d’Art contemporain de Nîmes, 1982.

Denis Picard,  » Avec Maeght pour label », Connaissance des Arts, octobre 1982 pp. 102-107.

La Fondation Marguerite et Aimé Maeght, Saint-Paul 1974, Maeght éditeur.

Francis Spar, « Un théâtre à Saint Paul de Vence » Connaissance des Arts, novembre 1966 interview d’Aimé Maeght, pp. 27-29.

Evelyne Schlumberger, « Architectures pour un musée » Connaissance des Arts, avril 1963 no. 134. p.35 1982

Le site de la Fondation est en construction.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 13 juillet 2004