Manifesta 11 Zurich



Manifesta 11. What People do for Money jusqu’au 18 septembre 2016

Dans la foulée des célébrations du centenaire du  mouvement dada, la ville de Zurich a obtenu l’organisation de la biennale d’art contemporain Manifesta 11. Créée à l’origine pour renforcer les liens entre l’est et l’ouest de l’Europe, après la chute du mur, et qui s’est souvent tenue dans des lieux périphériques. Elle suit un schéma d’organisation qui est fixé et identique à chaque fois, en faisant alterner des lieux institutionnels et d’autres sites inattendus pour permettre un regard plus complet sur la ville hôte. Ce schéma se révèle à nouveau très positif.

Trois institutions ont mis leurs locaux à disposition pour cet événement la Kunsthalle, le Migrosmuseum et le Helmhaus;  un pavillon éphémère à été érigé sur le lac. Le thème de cette biennale dirigé par l’artiste allemand Christian Janowski, What People do for Money, fait que de nombreux travaux sont présentés dans des lieux inattendus, magasin, hôtel, hôpital, banque, université notamment. Pour comprendre la démarche, il faudrait idéalement voir tous les films projetés dans le pavillon du lac qui présentent les collaborations de trente artistes avec des personnes travaillant à Zurich, du pompier au dentiste ou au croque-mort, sans oublier le créateur de montres.

De nombreuses oeuvres d’artistes reconnus ont été associées aux créations nouvelles commandées pour Manifesta. Celles-ci ont la particularité d’être présentées en plusieurs fragments sur des sites différents. On en trouve une ou plusieurs traces dans les lieux d’expositions institutionnelles. Elles sont associées à un site spécifique inhabituel. Enfin le film qui présente la démarche est visible sur l’écran du pavillon lacustre. Ce cheminement plutôt complexe est contrebalancé par la grande attention  portée à la ligne graphique et au système d’exposition qui donne une forte identité à l’ensemble.


Je n’ai visité qu’une seule autre édition de Manifesta, mais elle m’avait beaucoup plu:

Manifesta 8 Murcie et Cartagène jusqu’au 9 janvier 2011

La Biennale européenne d’art contemporain. La région de Murcie (Espagne) en dialogue avec l’Afrique du Nord.

Il est de bon ton d’organiser des expositions dans des endroits mal connus, pour contribuer à leur donner une meilleure visibilité. Manifesta, biennale européenne d’art contemporain, se signale en général par ce genre de choix. En 2010, c’est déjà la huitième édition. En choisissant Murcie et Cartagène, les organisateurs sont allés à la limite de ce qui est possible, puisque ces localités sont vraiment difficiles d’accès et qu’il faut compter sept heures de train, au minimum depuis Barcelone et même davantage en bus.  Cette exposition dispose d’un thème général, la région de Murcie en dialogue avec l’Afrique du Nord et a invité trois groupes de commissaires qui assument le choix des expositions. Alors que près d’une centaine d’artistes ont réalisé le plus souvent des oeuvres spécifiques liées à l’endroit. En réalité le thème général ne laisse pas beaucoup de traces.

Dans l’ancienne poste de Murcie on découvre un film d’une dizaine de minutes de Willie Doherty (1959) Segura, consacré à la rivière qui traverse la ville. C’est aussi dans ce bâtiment que l’on trouve Phallusies de Simon Fujiwara (1982) réalisé avec Dai Jenkins, une installation hilarante sur la prétendue découverte archéologique d’un lingham. Toujours dans cet édifice, le groupe Common Culture, fondé à Liverpool en 1996 propose une critique radicale de l’exposition et de ses enjeux avec The New Eldorado in Murcia, une réalisation très bien menée. Les travaux présentés dans cette ancienne poste sont les plus intéressants. On découvre d’autres réalisations au musée des beaux-arts, deux travaux consacrés à un dialogue avec des prisonniers à Murcie, notamment http://countryeuropa.net/ . Dans d’anciens moulins transformés en musée et dans les anciennes casernes, un ensemble de bâtiments de style mauresque datant des années 1930 qui ont été réhabilités pour des activités culturelles. The Otolith Group sélectionné pour le Turner Prize 2010 est présenté ici.  A Cartagène, on constate que cette cité dont le destin fut longtemps militaire a connu un renouveau urbain ces dernières années, de nombreux bâtiments du début du XXe siècle ont été restaurés. Le port tout neuf  reçoit de gigantesques bateaux de croisière.

Le parcours des sites de Manifesta permet de découvrir tous les aspects de la ville. Il débute dans le musée de Cartagène situé dans la Palais Aguirre de 1901, complété par une annexe moderne. Avec des travaux consacrés à la représentation, la perspective ou l’absence de vision. Il se poursuit dans un ancien pavillon d’anatomie avec The Batteria Project 2010 de Laurent Grasso (1972) qui a produit un film de 25’ évoquant le passé militaire de Cartagène à travers des vues des innombrables forteresses qui truffent la côte environnante. On rejoint le port pour découvrir un bâtiment d’exposition flambant neuf avec des travaux qui abordent le thème de la maison ou des sans abris. Puis l’on nous propose de gagner un centre social assez éloigné ou de monter vers le château qui domine la ville dans un restaurant panoramique abandonné. Le parcours se poursuit sur la rue centrale dans un casino 1900. Stefanos Tsivopoulos, né en 1972 à Prague propose Amnesialand, un film superbe qui rappelle l’industrie minière de la région de Murcie et les pollutions qu’elle a laissées derrière elle. En face du film des projections de diapositives évoquent le passé du casino de Cartagène, le site dans lequel cette projection est présentée. Le parcours s’achève de manière beaucoup moins idyllique dans la banlieue moderne de la ville, dans une ancienne prison avec des travaux plus engagés. A chaque fois des oeuvres spécifiques ont été produites. Ce que l’on peut en dire, c’est que si la démarche est intéressante et que plusieurs pièces de qualité ont été réalisées, la densité de l’exposition ne justifie toutefois pas vraiment un déplacement. De plus la majorité des travaux sont des films ou des vidéos que l’on peut parfaitement voir ailleurs, d’autant qu’ils ne supposent pas une installation très complexe en général. Par ailleurs le dialogue avec la population locale semble relever de la pure rhétorique, pour l’instant et bien que tout soit entièrement gratuit, y compris le petit guide, bien fait, qui présente tous les artistes, l’exposition n’attire que très peu de visiteurs, quelques dizaines par jour.  Patrick Schaefer, L’art en jeu, 14 novembre 2010