Art en Suisse

Les tentatives de faire le point sur une époque ou une tendance de l’art en Suisse sont assez rares. Je rassemble sur cette page quelques cas, à l’occasion de l’exposition Swiss Pop Art au Kunsthaus d’Aarau.

Aarau 26 juillet 2017

Le Kunsthaus d’Aarau fait le point sur la Suisse et le Pop Art jusqu’au 1er octobre. Une réflexion historique, mais une présentation légère et joyeuse qui a su faire ressortir l’esprit d’artistes jeunes  dont beaucoup sont devenus très connus, (Peter Stämpfli, Urs Lüthi, Markus Raetz, par exemple), en approfondissant certains aspects de leur première expression tonitruante. On sent bien qu’il s’agissait pour tous de casser le cadre, le cadre de la toile, celui des catégories artistiques, graphisme et peinture notamment, celui des sujets, d’explorer de nouveaux matériaux aussi pour des reliefs, de la sculpture.


Lucerne 26 avril 2008
Art vidéo suisse des années 70 et 80. Une reconstruction jusqu’au 4 mai 2008.
Le Musée des beaux-arts de Lucerne présente la vidéo suisse des années 70 et 80.
Vingt installations vidéo soigneusement reconstituées avec l’aide des artistes et de nombreuses projections en annexe. L’exposition du musée des beaux-arts de Lucerne tente de poser les jalons d’une histoire de la vidéo en Suisse. Un défi réussi par la qualité des oeuvres et le soin porté à leur mise en valeur.

Le souci d’utiliser les appareils de l’époque souligne l’évolution technologique. Elle crée également une atmosphère rétro et devient un élément esthétique, élément condamné à disparaître d’ici quelques années d’ailleurs, lorsqu’il ne sera plus possible de trouver des appareils de télévisions anciens qui fonctionnent encore. Lorsque les nouvelles technologies sont apparues dans les expositions artistiques, elles ont toujours été assimilées à l’innovation. Ainsi la vidéo s’est-elle imposée à partir des années 1970 sous cet étendard. Pourtant il y a un paradoxe, ces technologies évoluent rapidement non seulement dans leurs possibilités, mais surtout dans leur aspect. De la sorte une exposition consacrée à la vidéo dans les années 1970 – 1980 prend un caractère très rétro et nostalgique en montrant d’anciens appareils remplacés par de nombreuses autres générations depuis leur apparition.
René Bauermeister, Silvie et Chérif Defraoui, Eric Lanz, Gérald Minkoff, Muriel Olesen, Alexander Hahn, Jean Otth, Hannes Vogel, Marie-José Burki quelques noms parmi les plus connus qui forment déjà deux générations d’artistes vidéo alors que la troisième est en pleine activité.

Plusieurs pièces occupent une salle entière et affirment des identités esthétiques très fortes. Par exemple « La vidéo, je m’en balance », 1984 de Muriel Olesen, qui réunit caméras et projecteurs de diapositives sur des balançoires ou La traversée du siècle II, 1988 de Chérif et Silvie Defraoui, une atmosphère marine avec phares et bateaux en bouteilles tout à fait superbes. On trouve aussi deux lettres de l’alphabet d’Eric Lanz D comme Diane et G comme Gorgones, 1985. L’exposition est une occasion unique de voir ses pièces. Un colloque a examiné les problèmes liés à la conservation, la recréation et à l’histoire de la vidéo, les actes du colloque et le catalogue de l’exposition paraitront fin 2008.
L’exposition et le colloque ont été organisés par Aktive Archive.
La Tate et plusieurs institutions américaines ont développé un projet sur la conservation des films et vidéos intitulé Media Matters.
Patrick Schaefer, L’art en jeu 26 avril 2008


Musée Rath Genève jusqu’au 13 janvier 2002.

Un siècle de défis.  L’art du XXe siècle dans les collections du musée des beaux-arts d’Aarau.
Collectionner l’art suisse?
Le Musée d’art et d’histoire de Genève profite des travaux d’extension du Kunsthaus d’Aarau, confiés aux architectes Herzog et de Meuron, pour présenter la collection d’art suisse de cette institution, qui a la réputation d’être l’une des meilleures du pays, dans les salles du musée Rath.

Il est très rare qu’une institution se lance dans un essai de synthèse à l’échelon helvétique face au foisonnement cantonal de la production, car il prend inévitablement un caractère de palmarès. (En aparté, je relève que les 3 expositions d’art suisse présentées cette année à Berne, Genève et Zurich ne jugent pas utile de souligner le caractère exclusivement helvétique de ces manifestations, tellement, il va de soi sans doute, peut-être aussi pour éviter un périlleux exercice de définition. Quelques toiles de Kirchner et Rouault, des travaux de Jean Arp, ne modifient pas le fait que la sélection genevoise dans les collections d’Aarau est en premier lieu une présentation d’art suisse.) L’exposition du musée Rath propose un parcours à travers le XXe siècle. Au premier étage sont opposés deux courant bien distincts: l’expressionnisme et l’abstraction, avec les diverses variations, passages de l’un à l’autre qui sont évoqués d’une façon intéressante. L’accent est mis sur la peinture et le dessin, seules quelques sculptures viennent rythmer la présentation. Au sous-sol sont exposés les contemporains qui explorent surtout divers aspects de la figuration, Markus Raetz, Anselm Stalder, J. F. Schnyder, Sylvia Bächli, André Thomkins, Ilse Weber, Carmen Perrin par exemple. Dans l’ensemble pour reprendre une distinction proposée par Nathalie Heinich, les oeuvres retenues (pas toujours les artistes) relèvent davantage du paradigme moderne que du paradigme contemporain.


Évidemment on sait que toutes les institutions helvétiques lorsqu’elles se tournent vers l’art de leur pays ont une optique d’abord cantonale, puis élargissent parfois leur horizon par cercles concentriques de 50 km., voire davantage! Les collections d’art suisse sont innombrables. Aux institutions du type Kunsthalle ou musée, complétées par des fondations s’ajoutent les villes, la Confédération, les banques (le Helmhaus à Zurich présente la collection d’art suisse contemporain d’une banque privée, constituée au cours des 20 dernières années: Julius Bär Art im Helmhaus zu Gast jusqu’au 14 octobre), les assurances (le musée des beaux-arts de Berne a présenté de mars à mai 2001 la collection d’art suisse d’une assurance, sous le titre l’art de la Mobilière) et d’autres entreprises. La plupart des grands organismes privés respectent la structure cantonale et ne cherchent pas du tout à imposer une synthèse. Il n’a d’ailleurs jamais été sérieusement question de créer un musée des beaux-arts national, ce qui favorise le foisonnement local, mais rend la visibilité difficile.
Quoi qu’il en soit, la suprématie économique s’affirme lentement dans le champ culturel également et Zurich est parvenu à marquer des points décisifs au cours des dernières années. Pour ce qui concerne l’art suisse, le Helmhaus par exemple a organisé d’importantes expositions monographiques d’artistes suisses d’origines diverses: Anselm Stalder (AG), Thomas Huber (ZH), Silvie Defraoui (SG) ou Balthasar Burkhard (BE) pour citer dans le désordre quelques exemples récents.
On imagine la difficulté d’affirmer une identité culturelle pour des villes comme Aarau, Soleure, Olten et Winterthour (j’allais oublier Glaris, Zoug et Lucerne et l’on pourrait aller jusqu’à Thoune, Bienne ou Fribourg) prises en tenaille entre des « capitales » comme Berne, Bâle et Zurich, tous ces lieux étant à moins d’une heure de déplacement les uns des autres. Incontestablement cette affirmation passe par l’accumulation et la présentation de collections artistiques considérables et suppose le développement de stratégies plus ou moins agressives.
Le passage par la périphérie romande révèle une stratégie d’affirmation, par rapport aux villes voisines, qui a déjà été poursuivie par l’institution argovienne au cours des dernières années. Ses collections ont beaucoup voyagé hors de Suisse également. En ses murs, pour marquer le quarantième anniversaire du bâtiment qu’elle occupe actuellement, l’institution a consacré en 1999 une exposition relatant 40 ans d’art suisse à partir de ses collections. « 99 respektive 59 » Rücksicht auf 40 Jahre Kunst in der Schweiz, Aargauer Kunsthaus Aarau, dont on retrouve plusieurs pièces ici. Il faut relever qu’Aarau a toujours eu une politique assez ouverte. En effet lors de l’exposition de Noël, elle invite non seulement les artistes résidant dans le canton, mais tous ceux, où qu’ils habitent, qui ont une origine argovienne; ce qui permet à la commission d’achat d’avoir une vision plus complète de la production helvétique et d’échapper à un cantonalisme trop étroit.

Patrick Schaefer. L’art en jeu, 8 septembre 2001.


Réouverture du Kunsthaus d’Aarau avec l’inauguration de l’extension de Herzog & de Meuron les 17 et 18 octobre 2003.

Aarau Kunsthaus. La collection jusqu’au 15 février 2004
L’événement de l’automne en Suisse, c’est l’inauguration de l’extension du Kunsthaus d’Aarau réalisée avec beaucoup de discrétion et d’efficacité par le bureau Herzog & de Meuron.
Construit entre 1957 et 1959 par les architectes Loepfe, Hänni et Hänggli, le bâtiment du Kunsthaus d’Aarau disposait d’une vaste cour qui marquait son entrée et le séparait du reste de la ville. C’est sur cet espace qu’est venu se greffer l’extension nouvelle conçue par le bureau Herzog & de Meuron, associé à l’artiste conceptuel Remy Zaugg. Ils ont conservé la cour, mais celle-ci est montée d’un étage devenant une terrasse qui permet de jeter un regard inattendu sur la ville. Elle établit aussi un lien avec les bâtiments historiques voisins et un parc qui se trouve derrière. La pierre de tuf moussue souligne ce caractère de jardin urbain. Un escalier intérieur et extérieur marque l’entrée du bâtiment et répète la rampe de l’édifice d’origine. L’espace d’accueil d’un blanc éclatant est conçu pourtant comme une grotte dont les murs évoquent les aspérités du cristal. Le bâtiment lui-même offre sur deux étages en sous-sol et au rez une suite de salles d’expositions construites autour d’une petite cour intérieure dans laquelle s’étire pour l’instant une MIMI de Markus Raetz. Le sous-sol est en lumière artificielle alors que le rez utilise le plus possible l’éclairage naturel par de grandes vitres qui maintiennent le contact avec la ville et par la cour intérieure.
En plus des salles d’exposition le sous-sol comprend un vestiaire et un espace de lecture pour lequel une ensemble important de toiles et d’aquarelles sur le thème de la bibliothèque a été commandé au peintre Thomas Huber.
L’exposition d’ouverture est consacrée à la collection dont elle cherche à donner l’aperçu le plus large possible sous le titre: Nouveaux espaces. La collection dans le Kunsthaus élargi jusqu’au 15 février 2004.


Moutier, Musée jurassien des arts; Soleure, Kunstmuseum

Analogue dialogue jusqu’au 11 novembre 2001: Plan, maquette et scène dans l’art contemporain.

L’oeuvre d’art, un objet qui s’échappe

L’exposition commune proposée par les musées de Moutier et de Soleure propose d’explorer un courant de plus en plus frappant dans l’art actuel et que l’on observe depuis plusieurs années déjà. En effet un nombre croissant d’artistes s’intéressent aux maquettes, aux modèles réels ou virtuels.

Loin de chercher à réunir les œuvres de créateurs déjà très connus sur la scène internationale qui proposent ce genre de réalisation, l’exposition rassemble les expérimentations d’artistes relativement jeunes, elle couvre en fait deux générations, et le plus souvent helvétiques.

Le mérite de cette exposition est d’offrir un regard sur la création contemporaine à travers une problématique importante. Son défaut est, sans doute en raison de l’extrême diffusion de cette problématique, de ne pas se concentrer sur l’un de ses aspects: soit la création d’objets artefacts, soit la création d’architectures imaginaires ou encore les réalisations sur ordinateur avec les possibilités de diffusion sur le web qui s’offrent à elles.

Elle propose certes une réflexion stimulante en confrontant différents modes d’approche de cette question, mais ne semble pas s’interroger sur la nature du discours qu’elle rend possible. En effet il peut être introspectif, ici représenté par Félix Stephan Huber et l’on pense à l’installation de Gregor Schneider dans le pavillon allemand à Venise cette année, ou entièrement ludique ou encore politique, un aspect non représenté ici sauf erreur. Je pense à l’installation de Thomas Hirschhornexposée au Kunsthaus à Zurich en ce moment. On peut aussi s’interroger sur la véritable pertinence de la mise en parallèle entre ces travaux proposant des maquettes réelles et les recherches sur ordinateur bien représentées ici par les travaux d’Yves Netzhammer d’une part (pour voir d’autres exemples de ce travail: http://on1.zkm.de/zkm/stories/storyReader$1322 et http://www.natuerlichkuenstlich.de/netzhammer1.html)

et de Nathalie Novarina et Marcel Croubalian d’autre part.

Les mises en cause impliquées par les possibilités récentes par rapport à ceux qui ne font que réagir ou évoluer face au minimalisme ou au néo-dadaïsme ne sont pas formulées dans l’exposition.

Du mur à la toile !

L’œuvre d’art qui a fui le mur depuis les années 1960, pour s’étaler dans l’espace rejoint maintenant la toile (web). On assiste à un phénomène curieux. Les expositions qui tentent de mettre en évidence les « précurseurs » de l’art virtuel se multiplient. En France, on a redécouvert l’art cinétique et l’op art, sacrés précurseurs, parce qu’ils impliquent une interactivité, une participation du spectateur. Cette préoccupation de l’interactivité semble dominer une grande partie de l’approche de l’art contemporain actuel dans ce pays. Elle était très clairement mise en évidence dans la dernière Biennale de Lyon par exemple. On relèvera que dans les expositions de Moutier et de Soleure, l’aspect ludique, interactif n’est pas pris en compte. Par ailleurs bien que l’on recherche des précurseurs qui sont aussi souvent des acteurs de l’évolution actuelle, il n’y a dans l’exposition ni ordinateur, ni connexion directe avec le web, ce qui est dommage.

Patrick Schaefer, L’art en jeu, 29 septembre 2001